• Une forme de résistance … ! Le méga-spectacle du jeudi 18 juillet à Carthage était exceptionnel à tous les égards. Joué à guichets fermés, « El Hadhra » de Fadhel Jaziri, est un événement culturel qui s'inscrit dans l'histoire du Festival. L'amphithéâtre a vibré durant deux bonnes heures sous les chants soufis et les mélodies liturgiques d'El Hadhra, dans sa troisième version, dont les rythmes endiablés ont ensorcelé un public déjà entré en transe dès les premières minutes. Nul doute, une création artistique tunisienne, distinguée, est digne de se produire sur les planches de Carthage, puisqu'elle est capable de drainer des milliers de spectateurs, à tel point que beaucoup de monde a passé la soirée debout, faute de place. Nous avons pu remarquer lors de la représentation de la fameuse pièce « Tsunami » il y a quelques jours et cette fois-ci avec « El Hadhra » et sans doute bientôt avec la pièce de théâtre « Monstranum's ». De telles créations démystifient l'idée que seuls les spectacles des chanteurs venus d'Orient ont du succès à Carthage ! « El Hadhra » de cette année tombe à pic, à l'heure où les sensibilités religieuses se sont exaspérées parmi les gens qui commencent à se perdre dans des discussions et des interprétations futiles et inutiles autour des rites religieux et des pratiques soufies dans nos contrées, déjà vieux de plusieurs siècles. Une telle initiative vise justement à rappeler à qui veut l'entendre que la Tunisie a son propre patrimoine culturel et religieux que nous sommes tenus à respecter, à sauvegarder. D'ailleurs, Fadhel Jaziri l'a déjà dit et réitéré sur plusieurs chaines de radio et de télévision que ce spectacle « est une forme de résistance pour la sauvegarde du patrimoine musical et d'une mémoire menacée de perdition et de profanation. » il avoue qu'il a été poussé à cette entreprise par deux événements marquants: «D'abord, j'ai ressenti que l'incendie prémédité, déclenché au mausolée de Bou Said Al Beji, comme une provocation politique et culturelle. Ensuite, la pièce Tsunami de Jaïbi qu'il a vue depuis quelques mois en première à Paris et qui donne sur un ton pessimiste l'impression que les choses vont mal en Tunisie depuis la Révolution… » Par ce travail, Fadhel Jaziri a voulu donc faire renaitre de l'espoir chez le public toujours avide de revisiter son patrimoine culturel et ses rites spirituels qui prêchent la fraternité, la tolérance et la solidarité. Cette nouvelle version n'est pas, à vrai dire, très différente de celles qui ont précédé. Toutefois, ceux qui ont déjà assisté à la première Hadhra en 1991 et à celle de 2010 auraient sûrement senti quelques changements au niveau du contenu et de la mise en scène, sachant que la philosophie qui anime ce projet est toujours présente. En effet, le programme présenté lors de cette soirée est constitué des principaux chants liturgiques dont étaient formées les deux Hadhra précédentes, à part quelques ajouts et agréments qui ont enrichi l'œuvre. La troupe est formée de 90 membres, dont la plupart sont des jeunes, répartis en choristes, musiciens et danseurs, avec les deux incontournables solistes, fidèles à la Hadhra, Hédi Donia et Karim Chouaieb. Le rythme allait crescendo et au fur et à mesure que la fête se poursuivait, le public s'est pris d'une hystérie collective, chantant, dansant, applaudissant sans répit et chacun se défoulait à sa manière. Au niveau des instruments utilisés, on a pu constater l'introduction du saxophone dont les sons stridents ont dominé les chansons interprétées qui ont réveillé les sentiments les plus intimes et plongé chacun dans une grande paix intérieure. La percussion, basée essentiellement sur le bendir et la tabla, ont donné au spectacle toute sa solennité et son prestige. Les guitares et les violons ont ajouté un certain charme à la fête. Inutile de citer toutes les chansons interprétées ce soir-là, mais on peut évoquer, à titre d'exemple, celles les plus répandues chez la foule : «Akhouati», «Ala Bni Meryem», «Ellail Zahi», «Hayya Nzourou», «Rais Labhar», «Talet Lachouak», «Ya Belhasen Ya Chedli», «Ya Fares Baghdad » et d'autres encore issues de la tradition qui racontent le vécu, les qualités morales et spirituelles de chaque confrérie et du prophète, des chants qui ont enchanté le public jusqu'à la transe.