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«Il faut amender la petite Constitution pour que le nouveau gouvernement ne soit pas tributaire de la majorité»
L'invitée du Dimanche: Nadia Chaâbane, députée et membre d' Al- Massar
Publié dans Le Temps le 27 - 10 - 2013


Entretien conduit par Faouzi KSIBI
Enfin, elle est de retour à la Constituante avec ses cinquante neuf confrères et consœurs. L'annonce par Ali Laârayedh de présenter la démission de son gouvernement au terme de trois semaines comme prévu dans la feuille de route a permis de rétablir l'ordre des choses et d'instaurer une atmosphère d'apaisement et de soulagement. Cependant, l'acceptation de cette condition sine qua non pour la poursuite du Dialogue national et le parachèvement de la phase transitoire n'est pas du tout rassurante quant à l'avenir du pays, vu que les dégâts occasionnés par ce gouvernement qui se dit partant sont si considérables que ce n'est pas un simple acquiescement qui va pouvoir les réparer comme nous l'affirme notre invité.
-Le Temps : la lenteur du démarrage du Dialogue national a fait perdre à la Tunisie un temps précieux, ce qui a participé à aggraver davantage la crise en offrant l'opportunité au terrorisme pour frapper encore une fois. A qui en incombe la responsabilité?
-Mme Chaâbane : de toute évidence, c'est Ennahdha qui est la responsable essentielle de ce piétinement et de cette crise dans laquelle on s'enfonce petit à petit. Par son comportement irresponsable, elle a causé une hémorragie économique et sécuritaire, puisque ce sont ces petits enfants que les dirigeants de ce parti ont laissé chahuter pendant un an et demi qui en sont à l'origine. Rappelons cette filiation idéologique, car on a tendance à l'oublier, ils sont dans la même sphère qu'eux, c'est-à-dire des islamistes. Ces enfants choyés sont, aujourd'hui porteurs d'armes et sont en train de violenter et de tuer nos soldats, nos gardes nationaux, nos agents de police, d'assassiner des leaders politiques et de menacer des artistes. J'aimerais bien qu'ils soient un peu plus clairs concernant cette question-là. Beaucoup de noms sont sortis dans les différents dossiers, et il n'y a pas eu de démenti de la part du ministère de l'intérieur, ni de la part d' Ennahdha ; on essaye, depuis plus d'un an, de banaliser la violence dont ils assument l'entière responsabilité. On voudrait savoir s'ils veulent enfoncer la Tunisie dans la guerre civile et les assassinats, des pratiques qu'on n'a jamais connues historiquement, ou s'ils veulent, vraiment, sauver le pays, il n'y a pas trente six mille solutions. S'ils penchent vers ce second choix, c'est tant mieux, toutefois, ils doivent savoir que le déficit de confiance est tel que cela ne peut plus se faire avec eux, mais autour d'une équipe soudée et soutenue par tout le monde, parce que personne ne peut y arriver seul.
-Et vous revoilà, enfin, autour de la même table avec Ennahdha.
-Il faut être réaliste, la solution est à trouver avec eux, car on a en partage ce pays dont on a tous le devoir de sauver, d'empêcher qu'il bascule vers la violence et de na pas laisser la porte ouverte à ses ennemis pour qu'ils terrorisent la société, la brutalisent et la mettent à genoux encore plus. Ce sur quoi on insiste, aujourd'hui, c'est ce déploiement de la violence. Ennahdha est une des composantes politiques de ce pays, il serait temps pour elle qu'elle se transforme en un vrai parti politique, parce que pour le moment c'est un parti religieux, et comme tout parti religieux, il pense qu'il est le seul à détenir la vérité et que les autres sont dans le faux. Il va falloir que cette mutation idéologique ou cette révolution philosophique se fasse au sein de ce parti. Il est amené à faire cette révolution malgré lui, d'ailleurs, étant donné que l'exercice du pouvoir l'a poussé à se repositionner par rapport à un certain nombre de questionnements. On n'a pas d'autre solution que de trouver la solution ensemble autour d'un consensus national, nous refusons toute autre modalité de fonctionnement ou de riposte à part les moyens pacifiques comme nous l'avons démontré en nous retirant de l'ANC où nous avons dit basta ! On ne pouvait plus continuer après l'assassinat de notre collègue à faire comme si de rien n'était, à voir notre pays s'enfoncer dans le terrorisme et économiquement sans broncher. Il fallait provoquer cette crise politique pour pouvoir amener la Troïka à se retirer.
-Mais votre effort n'a pas eu le résultat escompté, à qui vous en imputez la responsabilité ?
-Ennahdha n'est pas seule responsable, car que font les pseudos démocrates d'Ettakatol dans ce gouvernement ? Ce sont ceux-là que j'interpelle, s'ils avaient démissionné, on n'en serait pas là aujourd'hui et on aurait pu gagner du temps ; eux aussi, ils portent une grande responsabilité. Moi, ce qui me chagrine le plus c'est que les dirigeants de ce parti sont comptabilisés et vus par les pays étrangers, et en particulier les Occidentaux, comme étant des démocrates, alors qu'ils sont en train de cautionner la pire des dictatures qui est en train de s'installer, qui est en train d'instaurer la pensée unique à sa manière en instrumentalisant la justice et en faisant taire toutes les voix libres de ce pays à coups de procès où ce sont des ministres et le chef d'Etat lui-même qui poursuivent des journalistes, des rappeurs, des artistes et autres. Franchement, la responsabilité est collective au niveau de cette Troïka, il est vrai qu' Ennahdha en supporte la plus grosse part, parce que c'est elle qui règne et gouverne, réellement, mais les autres s'accrochent quand même à leurs sièges comme si c'étaient des buées de sauvetage, alors qu'il faudrait qu'ils aient une pensée pour leur pays à un moment ou à un autre.
-Etes-vous adepte de la thèse soutenue par certains et selon laquelle il existe au sein de Ennahdha des colombes et des faucons ?
-Depuis les avoir côtoyés dans les commissions de la Constituante, je me suis rendue compte qu'il y avait à peu près trois courants et trois types de discours au sein de ce parti, mais qu'ils sont, en même temps, solidaires, entre eux. J'ai cru à un moment en cette division et j'y crois un peu moins aujourd'hui. J'y ai cru quand j'ai vu des positions très opposées et très tranchées par rapport à la constitution, aux contenus de certains des articles, mais au moment du vote, c'était un vote unique, une seule voix, et vous avez des gens qui allaient à l'encontre de leurs convictions les plus profondes. C'est là que je me suis persuadée qu'il y avait une espèce de jeu dans ce parti où il y a, peut-être, de la sincérité chez certains de ses élus mais qui ne pesaient pas lourd dans l'appareil où on se répartit les rôles, où il y a les gentils et les méchants un peu comme dans les mauvais polars ou les interrogatoires où vous avez le gentil flic, qui se fait tout mielleux pour vous faire parler, et le méchant qui vous brutalise, histoire que vous n'oubliez pas que vous êtes dans un poste de police. C'est un mauvais jeu de rôles, car c'est la Tunisie qui en paye la facture, et si on proposait à un scénariste de nous écrire un scénario, il le trouverait surréaliste. Je crois qu'on est en plein surréalisme en terme de scénario politique, parce qu'on est face à deux mondes qui ne raisonnent pas la même chose, l'un raisonne parti, l'autre raisonne pays. Donc, au-delà de ce cette soi-disant division, le plus important, aujourd'hui, au sein d' Ennahdha c'est qu'ils prennent une décision, peu importe que ce soient les colombes, les faucons, les rats ou les souris, ou tout ce que vous voulez, moi, ce qui m'intéresse c'est qu'ils se prononcent une fois pour toutes avec une seule voix et c'est à eux de régler leurs problèmes internes qui ne me concernent aucunement.
-Quels sont les points à amender dans l'Organisation Provisoire des Pouvoirs et le règlement intérieur pour que la feuille de route puisse être appliquée sans encombres?
-La feuille de route aborde ces questions-là quand elle dit que le gouvernement doit pouvoir disposer de tous les pouvoirs, quelque part, elle parle du pouvoir législatif. Les amendements à apporter à l'OPP sont incontournables, parce sans cela, le gouvernement serait tributaire de la majorité d' Ennahdha à l'intérieur de l'ANC qui essaieraient de l'empêcher d'avancer et même se servir des séances d'interrogations pour faire leur campagne électorale sur le dos de ce nouveau gouvernement qui est censé être un gouvernement de consensus. Dans les conditions actuelles, la Constituante pourrait être un vrai empêchement et légiférer tout contre les intérêts de ce gouvernement et ce qu'il dessinerait comme politique économique et sociale ou comme priorité. Par rapport à l'ISIE, il y a deux aspects fondamentaux, et ce n'est pas seulement l'indépendance financière où elle risquerait d'être tributaire de l'ANC, étant donné qu'elle pourrait l'être du budget de l'Etat et donc du gouvernement. Par contre, c'est au niveau des administrations que la question se pose, parce qu'elle a besoin de collaboration et de partenariat avec celles-ci pour pouvoir mettre à disposition des locaux, des écoles et autres pour l'organisation les élections, pour l'acheminement des urnes…, et là, on a un vrai hic. On a des administrations qui ont été décapitées de toutes leurs compétences et à la tête desquelles on a mis des gens sous la base de l'allégeance uniquement pour pouvoir organiser des élections et détourner un certain nombre de choses, on voit très bien que cela a été fait sur du sur mesure un peu à l'image de l'Iran de 1979 où la première stratégie qui était mise en place par Khomeini et continuée par Khamini par la suite c'était de placer à peu près deux mille hommes pour contrôler tout l'appareil de l'Etat. Ennahdha a fait exactement la même chose, elle n'a pas été inventive à ce niveau-là, elle a reproduit le même modèle, celui du régime autoritaire qui contrôle les postes clés pour pouvoir non seulement fliquer les administrations et avoir à l'œil tous les fonctionnaires mais en même temps mettre l'appareil de l'Etat à la disposition du parti et c'est ce qui est en train de se faire.
-Pouvez-vous être encore plus claire?
-C'est à quoi on doit conclure quand on voit que le budget de l'Etat de l'aide sociale et autres transitent via des associations caritatives pro Ennahdha, quand on voit qu'il y a des tranches versées sur les fonds d'aide au logement à Guedech et ailleurs, et que la deuxième tranche le sera après les élections via ces mêmes associations caritatives. Il est clair qu'on est en train de monnayer le budget de l'Etat et de l'instrumentaliser pour les prochaines élections. Il s'agit là de relais réels qu'elle a mis en place pour pouvoir quadriller toute la société tunisienne et mettre à genoux tout le pays. Toutefois, il n'y a pas que cela, il lui reste encore quelques lois à faire passer, et d'ailleurs, cet été, pendant toute la crise politique qu'on vivait, si vous feuilletez le JORT, vous allez constater qu'il ressemble à un annuaire téléphonique beaucoup plus qu'à autre chose. C'est à coups de nominations mais en même temps il y a eu des décrets qui ont été promulgués et qui vont dans le sens de contenter le sérail d'Ennahdha et ses proches. Je vous donne un exemple concret pour que vous en saisissiez la dimension : ils ont saucissonné la justice transitionnelle dont la loi n'est, toujours, pas votée et gît dans les tiroirs de l'ANC. Cette loi prévoit la mise en place d'une instance qui s'appelle dignité et liberté et qui aura à s'occuper du questionnement de la constitution de la vérité, de la réconciliation éventuelle et aussi des indemnisations en décidant si elles seraient symboliques, matérielles, collectives, individuelles… Samir Dilou a anticipé sur les décisions que pourrait prendre cette instance, puisqu'il a envoyé des questionnaires à soi-disant des amnistiés de l'amnistie générale qui étaient en difficulté financière pour leur dire qu'on allait effectuer une première tranche de versement en leur faveur, alors que cette instance est encore virtuelle. Il se pourrait que la personne bénéficiaire qui serait sélectionnée par Dilou soit l'auteur de violences ayant provoqué des dégâts pour autrui comme celles de Bab Souika et de Slimane ou des gens qui portent les armes à Chaâmbi ou à Sidi Bouzid aujourd'hui, par exemple. Cette instance à laquelle s'est substitué Dilou est censée mettre en place une caisse pour collecter des fonds. Aujourd'hui, les premiers versements se font sur la base du budget de l'Etat dans lequel il n'y avait pas de vote sur 2013, et ils ont créé un fonds de concours pour faire ces versements-là. Donc, ce gouvernement est en train de bâtir un Etat de non droit. En gros, il instrumentalise la justice dans le traitement des dossiers du terrorisme où on voit des gens arrêtés et relâchés le lendemain, il musèle les voix libres et fait du sur mesure par voie de décrets ou de lois pour satisfaire les siens, et la Tunisie est absente de son agenda.
-Les blessés de la Révolution ne cessent de crier à l'injustice et de répéter que l'annexion du dossier des amnistiés au leur est une manière de la part de la commission présidée par Amina Zoghlami de noyer ce dernier. Partagez-vous leur avis ?
-Ce n'est même pas noyer le dossier des blessés, mais c'est faire avaler la pilule par rapport au reste des Tunisiens concernant l'indemnisation des amnistiés, parce que n'oubliez que plusieurs militants de la gauche tunisienne qui ont connu la prison, la torture et autres ont dit qu'ils ne demanderaient rien. Donc, il fallait bien faire passer la pilule par d'autres moyens ; tout ce qui est fait ne l'est pas de manière spontanée mais réfléchie, de manière à faire accepter un certain nombre d'injustices. Personnellement, je ne suis pas contre les indemnisations dans l'absolu, mais c'est une instance indépendante qui doit le faire et en tenant compte des priorités du pays.
-Si vous nous parliez de ces indemnisations.
-Je connais, personnellement ; des personnes qu'on a appelées pour récupérer un poste alors qu'elles n'ont rien demandé. De plus, j'ai eu entre les mains des dossiers où on a mis des gens à des postes où ils n'avaient aucune compétence et des gens recrutés à la fonction publique à deux ou trois ans de la retraite et qui avaient un commerce, alors qu'on a huit cents mille chômeurs. Si ces gens-là ont un gramme de patriotisme, s'ils ont l'intérêt du pays entre les yeux, on l'aurait su il y a quelque temps déjà, mais là, je désespère d'eux. Ils nous donnent l'impression qu'ils se servent de la Tunisie en qui ils voient un butin et qu'ils ont quelque chose à rattraper, une espèce de vengeance à prendre sur l'histoire du pays à laquelle ils n'appartiennent pas en gros, car quand on voit comment ils malmènent notre drapeau, le symbole de l'Etat, quand on voit qu'aucune fête nationale n'est fêtée par eux, on se pose des questions. Ce sont des gens qui n'ont participé à aucune lutte nationale, à aucune résistance dans ce pays-là, et s'ils ont fait de la prison c'est parce qu'ils ont voulu prendre le pouvoir, mais ils n'ont jamais été à côté du peuple pour défendre ses intérêts, pour épouser la cause des plus démunis et celle des voix libres de ce pays.
-Est-ce que vous croyez que les actes terroristes du 23 octobre relèvent de la pire coïncidence ?
-Moi, je ne crois pas du tout dans la coïncidence, cela fait plusieurs mois qu'à chaque fois qu'Ennahdha se trouve en difficulté, qu'elle est face à une crise soit politique, soit économique soit sociale, qu'elle est sous la menace de la contestation et de la grogne, il y a des événements à Chaâmbi, à Kasserine…. A chaque fois, on a le même scénario qui se répète et les terroristes reprennent de service. Personnellement, je ne suis pas dans le fatalisme à croire dans les coïncidences, je suis très rationnaliste à ce niveau-là, et j'ai l'impression qu'on a affaire à un marionnettiste qui se moque un peu des Tunisiens, et c'est d'ailleurs la rue qui le répète : « tiens, qu'est-ce qui va se passer aujourd'hui ? ». Et à chaque fois qu'on attend une réponse où ces gens-là doivent assumer leur responsabilité et faire quelque chose de solennel en faveur du pays, on s'aperçoit qu'ils nous sortent le dossier du terrorisme. Je ne sais pas s'il y a aune répartition des rôles, mais en tous cas, il y a quelque chose de pas très saint, de pas très clair, et le déficit de confiance est consommé aujourd'hui. Il y a une vraie rupture qui est en train de se s'établir et la parole d' Ennahdha ne pèse plus dans la rue, plus personne n'y croit à cause de son multi-discours, des jeux de rôles permanents, des scénarios qui se croisent et se décroisent. Les Nahdhaouis sont peut-être innocents dans tout cela, je n'en sais rien, je ne suis pas madame Soleil, mais en tout cas, je ne crois pas à la coïncidence.
-Tout récemment, des militants ont quitté Al Jomhouri pour rejoindre votre parti. Certains observateurs pensent qu' Al Massar est devenu la seule destination des sociaux-démocrates en Tunisie, êtes-vous de cet avis?
-Je pense que notre parti a fait preuve de constance dans ses prises de position jusqu'à maintenant, il n'est pas prêt à brader ses valeurs, ni à les monnayer. Nous n'avons pas dévié par rapport à nos discours, nous avons, toujours, été là dans tous les combats et nous avons, toujours, essayé d'unir les forces vives de ce pays, et je crois que nous formerons le futur parti de gauche fort de la Tunisie, on y croit tous. Et ce n'est pas un hasard si notre parti est le seul à capter, à la fois, et des élus et des militants. Historiquement, notre parti n'est pas nouveau, il est la continuité de plusieurs décennies de lutte qui ont forgé une vision, une manière de faire et une culture politique, et qui, finalement, séduit et plaît et c'est tant mieux. Le parti se rajeunit de plus en plus, il y a beaucoup de jeunes qui l'intègrent, et au-delà des gens connus, il y en a d'autres qui ne les ont pas, ce qui est rassurant. Donc, c'est un parti qui va compter dans les années à venir comme étant le parti de gauche rassembleur.
Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui soutiennent qu'en tant que parti social-démocrate, Al Massar devrait se trouver dans le Front Populaire et non pas au sein du l'Union Pour la Tunisie ?
-Je pense qu'on est entre les deux, et on a été, d'ailleurs, la cheville ouvrière pour le rapprochement entre ces deux coalitions. On peut être proches du Front Populaire sur un certain nombre d'éléments, mais on est aussi proches d'Al Jomhouri et des autres partis avec qui, traditionnellement, on a des points communs, et on a travaillé ensemble auparavant. Donc, de toutes les manières, je crois qu'il faut faire la séparation entre le parti, d'un côté, et les alliances politiques et électorales, de l'autre, parce qu'on n'est pas sur les mêmes réflexions, ni sur les mêmes enjeux. Personnellement, je me sens aussi proche du FP que de l'UPT, on a en partage un modèle tunisien, une identité tunisienne, des valeurs communes ; après certains sont plus à gauche, moins à gauche. Dans le FP, il y a les nationalistes avec qui, historiquement, on n'a pas d'affinités particulières mais avec qui on a appris à travailler et à bâtir ensemble, aujourd'hui, un devenir. Je pense que le paysage tunisien est en mutation, où les choses se composent et se recomposent, et ce n'est pas fini. C'est un peu normal, car on est dans une période où se passent beaucoup de choses à la fois et où les formations politiques suivent comme elles peuvent ces changements-là et s'y ajustent, on est dans une phase de construction. Donc, dans une conjoncture pareille, on ne peut pas s'attendre à ce que les partis soient figés, pendant que la société est en pleine mutation.
-Ne voyez-vous pas, en tant que femme tunisienne de gauche résidant en France, que le PS a trahi le Front de Gauche qui l'a soutenu aux présidentielles surtout par sa politique étrangère menée surtout en Syrie où il prête son concours à des terroristes ?
-Je pense que la politique étrangère française est catastrophique à tous les niveaux et que les Français n'ont, toujours, pas compris qu'est-ce qui se passait dans les pays arabes, ils avaient un modèle en tête et ce modèle se révèle défaillant et en échec et complètement décalé par rapport à la réalité. Ils n'ont pas su accompagner les mutations qui sont en train de se vivre et les aspirations des populations et surtout des jeunes parmi elles. Donc, je crois que le tâtonnement de la France va continuer, tant qu'elle ne voudra pas écouter les bonnes personnes qui tiennent des discours sur l'Islam modéré, tant que Tarek Ramadhan fait les plateaux de télévision pour raconter mille et une âneries se positionnant ainsi comme un expert, alors qu'il est expert de rien du tout. Et j'ai l'impression que la situation va perdurer, car on ne tire pas de leçons de ce qui se passe. D'ailleurs, l'ensemble de la politique européenne a du mal à se positionner par rapport aux dossiers des pays arabes, et je crois que la meilleure aide qu'ils pourraient apporter à nos pays c'est de nous laisser faire et prendre les décisions tous seuls, et surtout ne pas soutenir des gouvernements, tel qu'ils l'ont fait avant le 14 Janvier financièrement et autre, des gouvernements qui veulent instaurer la pensée unique de nouveau. Et si j'ai un appel à faire à l'Union Européenne, aujourd'hui, je lui dirai qu'il faudrait qu'elle reconditionne ses aides à la Tunisie par rapport au respect des droits de l'homme et à la liberté d'expression qui sont plus que menacés, et qu'elle soit un peu plus dans l'exigence vis-à-vis d'un régime qui instrumentalise la justice et qui est en train de réinstaller le régime autoritaire mais qui n'a pas été capable d'instaurer l'autorité de l'Etat. C'est là-dessus qu'il faut que les Européens aient une vraie réflexion pour ne pas commettre les mêmes erreurs.


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