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« La légalisation de l'Islam radical est à l'origine de l'émergence du terrorisme en Tunisie »
L'invité du Dimanche: Alaya Allani, historien, spécialiste des mouvements islamiques
Publié dans Le Temps le 03 - 11 - 2013


Entretien conduit par Faouzi KSIBI
Il y a quelque temps, nos rapports avec le terrorisme étaient virtuels, puisqu'on en percevait l'image, seulement, à travers le petit écran. On suivait les scènes meurtrières venant de l'Iraq et, récemment, de la Syrie et on souffrait et s'apitoyait sur tous ces innocents qu'on massacrait et dont on déchiquetait les corps sauvagement. Jamais l'idée de voir ce spectre se faufiler parmi nous ne nous a effleuré l'esprit, mais, malheureusement, il est là, il fait partie intégrante de notre quotidien. Dorénavant, on est contraint à compter avec et à le côtoyer ; les Tunisiens n'en reviennent pas, comment a-t-il réussi à s'implanter chez eux ? Ils se croyaient à l'abri du terrorisme en raison de leur pondération, leur ouverture d'esprit et leur inclination pour la paix qui leur ont fait des envieux. Toutefois, à voir de près, l'installation de ce mal dans notre pays est une sorte de fatalité au vu des circonstances qui ont précédé comme l'affirme notre invité.
-Le Temps : l'Islam radical s'est renforcé avec l'avènement des islamistes au pouvoir. Comment expliquez-vous cette coïncidence ?
-M Allani : avant la Révolution, seuls les Salafistes jihadistes et Al Qaïda étaient politisés, tandis que les Salafistes réformistes, qui formaient le grand espace, ne l'étaient pas. C'est après cette date qu'ils le sont devenus et, à l'image du parti «Nour» d'Egypte qui a remporté ¼ des voix, trois partis salafistes se sont constitués et ont obtenu le visa et qui sont «Front de réforme», «Asala» et «Rahma». Mais ce à quoi on ne s'attendait pas c'était l'octroi d'un visa au parti «Ettahrir», un parti islamiste radical croyant dur comme fer au Qualifat et au changement du haut vers le bas, autrement dit au coup d'Etat. Donc, dès les premiers jours de son pouvoir, Ennahdha essaya de créer un état de fait salafiste : trois partis salafistes et un parti d'Islam radical ont été légalisés et plus de deux cents associations pro Islamistes créées. Toutefois, ce paysage salafiste officiel ne représente qu'une minorité, la majorité se trouve dans les associations comme c'est le cas d'Ansar al Charia présidé par Abu yadh. Ansar al Charia a été instrumentalisée en premier par le pouvoir en place. Rached el Ghannouchi, à travers une vidéo diffusée en octobre 2012 avait appelé les salafistes à s'organiser et à constituer une force économique influente dans le pays. Parallèlement, le gouvernement nahdaoui n'arrive désormais plus à contrôler le tissu associatif salafiste avec ses activités caritatives et culturelles qu'il a encouragées en leur permettant d'installer leurs tentes devant les écoles et sur les marchés et qui ne sont ni contrôlées, ni soumises à un audit. Avant son accession au pouvoir Ennahdha, qui a profité du préjugé favorable que lui réservait l'opinion publique, avait promis de rationaliser ces courants d'Islam radical, mais c'est tout à fait le contraire qui s'est produit.
-Le gouvernement de Ennahdha a classé Ansar Chariâ comme étant une organisation terroriste, alors que le bureau politique de ce mouvement refuse, par la bouche de son porte-parole Ajmi Lourimi, cette classification. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

-Par la connexion existant entre les Jihadistes et Ennahdha qui est établie, d'après les chercheurs, à travers la branche salafiste du parti Ennahdha, animé par Sadok Chourou et Habib Ellouze. Ce sont eux qui dirigent les négociations avec les Jihadistes d'Abou Yadh. Le parti Ennahda, selon des analystes, croit que la carte des Salafistes peut servir à renforcer son potentiel électoral notant que la moitié de la base du parti Ennahdha est proche de la pensée salafiste. Je rappelle, à cet égard, que, pendant les opérations de poursuite contre les terroristes au Mont Chaâmbi, le parti Ennahda accueille chaleureusement le prêcheur salafiste Mohamed Hassène et lui permet de tenir un discours dans un meeting, le 4 mai 2013, regroupant près de 20 000 personnes au bord de la mer de Hammamet, ce qui donne un coup fatal au tourisme qui connaît, déjà, d'énormes difficultés. Rappelez-vous que le lendemain de ce meeting, le ministre du tourisme critiqua sévèrement la tenue de ce rassemblement et que les journaux dénoncèrent les facilités accordées par le gouverneur pour son organisation et les Fatwas de Hassène hostiles à la modernité et surtout aux droits de la femme. Il ne pourrait pas en être autrement quand on instaure l'Etat des quotas partisans à la place de celui de la citoyenneté. Cet état de fait constitue un terrain favorable au terrorisme et lui permettrait, donc, de continuer à exister.
-Certains soupçonnent des forces étrangères d'être derrière ce terrorisme naissant. Partagez-vous cet avis ?
-En fait, il existe deux agendas, l'un interne, l'autre externe. Le premier est celui des parties qui sont contre le modernisme et l'Etat de droit et qui voient en la démocratie une institution impie. Le second n'aime pas voir l'expérience démocratique triompher en Tunisie et dans le monde arabe. Nous passons par un moment qui est extrêmement délicat, vu que notre pays fait l'objet de toutes les convoitises, c'est pourquoi nous devons prendre les choses en main et être les seuls maîtres de notre destin. Il est vrai qu'il ya certaines parties qui sont sincères et qui essayent de pousser les choses vers une solution, mais il ne faut pas laisser ce rôle s'intensifier, en ce sens que nous devons être vigilants et éviter d'internationaliser notre situation, car il existe des forces étrangères qui ne nous veulent pas du bien et qui guettent l'occasion pour intervenir dans nos affaires. C'est vrai que la Tunisie n'est pas un pays très alléchant pour elles et que le grand intérêt qu'elle représente est d'ordre stratégique, mais son importance pourrait s'accroître si elles parvenaient à en faire une poudrière où elles écouleraient leurs armes et fructifier leur industrie militaire. Une telle situation nous obligerait à transférer le ¼ du budget de l'Etat alloué à l'enseignement à la lutte contre le terrorisme.
-Est-ce que vous confortez la thèse développée par Taieb Laâguili concernant les connivences entre Abdelhakim Bel Hadj et des dirigeants de Ennahdha ?
-Ce qui est sûr c'est que ce dossier comprend beaucoup d'interrogations. Tout ce qu'on pourrait affirmer c'est l'existence de rapports moraux entre les courants islamistes dans les deux pays, mais pour ce qui est des éventuelles relations et militaires, là, on ne pourrait pas se prononcer, d'ailleurs, il y a des procès qui sont en cours et la justice va se prononcer là-dessus. Néanmoins, il faut reconnaître que cette situation fragile était favorisée par plusieurs erreurs commises par le gouvernent dont, notamment, l'affaire Baghdadi Mahmoudi qui alimenté les suspicions dans ce sens. Dans cette conjoncture très particulière, notre coopération avec la Libye, ce pays voisin qui compte beaucoup pour nous, mais dont la structure est démantelée, doit prendre une autre forme avec l'installation d'une zone tampon.
-A quoi est due la recrudescence du terrorisme baptisé « jihad », d'après vous?
-Le concept du terrorisme a été lié ces dernières décennies à celui du jihad. Les Islamistes sont tous unanimes sur l'importance du jihad en tant que devoir sacré, mais son application nécessite selon les jihadistes des conditions préalables, alors que pour l'Islam politique, il s'applique par étape et suivant des normes bien déterminées. En l'occurrence, et selon les salafistes jihadistes le jihad est un devoir sacré, il est applicable à tout moment et dans l'immédiat. La notion de « Takfir » adaptée par le courant salafiste ouvre la porte à des réactions violentes aussi bien verbales que physiques. Cependant, il faut préciser que les salafistes évoquent, dans leur littérature, deux types de terrorisme ; terrorisme rejeté et terrorisme préféré. Le terrorisme rejeté c'est celui qui mène au meurtre des femmes, des vieux et des enfants ou celui qui entrave l'économie du pays par des sabotages, des sit-in ou par la coupure des routes. Tandis que le terrorisme préféré c'est celui qui aide à l'application de la Charia. Selon certains chercheurs, on peut même parler d'un terrorisme d'Etat ou d'un terrorisme de groupe. Dans le cas de Tunisie on est plutôt dans le deuxième cas de figure.
-Quelles sont les affinités existant entre les Jihadistes d'Al-Qaïda et les Jihadistes d'Ansar Charia ?

-Il s'agit d'une relation de collaboration et de coordination pour certaines activités. L'école de pensée pour les deux tendances est la même, Abou Yadh dit qu'il adopte les principes d'Al-Qaïda, mais qu'il n'appartient pas à ses structures. Les analystes considèrent cette déclaration très équivoque, et certains d'entre eux évoquent une semi alliance entre les deux mouvances.

-Si vous nous parliez de la nature de rapports existant entre Salafistes Jihadistes et les Salafistes réformistes dits scientifiques ?
-Il s'agit d'une relation qui repose, à la fois, sur des points de convergence et des points de divergence. Par exemple, les Salafistes réformistes croient au jihad mais ils estiment que le moment n'est pas opportun, alors que les Salafistes jihadistes considèrent qu'il est grand temps pour la pratiquer dans le but d'instaurer un Etat Islamique. Donc, il n'existe pas de différence entre les deux groupes au niveau du fond. Pour les Jihadistes de « Ansar Charia » ou « Al-Qaïda », le jihad se fait contre les étrangers qui occupent des terres musulmanes et les chefs d'Etat musulmans qui collaborent avec ces derniers, en particulier, les Américains et les Européens. Ceci dit il y a une possibilité pour que les Salafistes réformistes et les Salafistes jihadistes collaborent ensemble surtout sur la question relative à la démocratisation du régime. En effet, à ce sujet, les deux tendances salafistes considèrent que la démocratie est un système anti-islamique. Ils estiment que les droits de la femme ne doivent pas contrarier le port du voile ou du niquab et la non mixité entre l'homme et la femme.
-Selon vous, les raisons du durcissement de ce mouvement terroriste, dans notre pays, sont-elles internes ou bien externes?
-Tout d'abord, je dois préciser que cette opération a décelé le manque de préparation et d'équipements des forces de sécurité devant l'extension jihadiste qui se renforce de plus en plus. Le renforcement des activités terroristes est dû à des facteurs aussi bien internes qu'externes. Pour ces derniers, on peut citer les retombées de la guerre du Mali, ce qui s'est passé en Egypte et la situation d'instabilité et d'insécurité qui règne encore en Libye. Les Jihadistes repoussés du nord de Mali s'orientaient vers le Niger et vers quelques pays du Maghreb, notamment, la Libye qui connaît une fragilité sécuritaire aigue. D'ailleurs, les premières enquêtes policières parlent des Jihadistes d'Al Qaïda, Aqmi, d'origine tunisienne et algérienne arrivés à Chaâmbi à travers la Libye où la fragilité sécuritaire ne cesse de s'accentuer de jour en jour. Pour ce qui est des facteurs internes, il y a lieu de citer, tout d'abord, le faible rendement gouvernemental sur le plan socioéconomique et l'absence d'une stratégie religieuse basée sur le patrimoine religieux local, connu pour sa modération et sa tolérance, ce qui a permis la diffusion des approches de l'Islam radical importé par les Arabes afghans. Il y a ensuite l'extension des activités Salafistes, à travers la création de plusieurs écoles coraniques et jardins d'enfants dirigés par eux échappant à tout contrôle de la part des autorités, et l'organisation de stages de formation, en Tunisie, pour former des cadres salafistes, assurée par des associations religieuses privées saoudiennes et kuwaïtiennes. L'activité intensifiée des Jihadistes, dans notre pays, peut s'inscrire dans le cadre de la préparation de l'après élection, ils veulent s'imposer en tant qu'acteurs politiques essentiels sur la scène publique dans la prochaine phase en coordonnant étroitement leur action avec l'Aqmi qui s'apprête à installer un triangle jihadiste liant la Tunisie à l'Algerie et la Libye.
-Quelles sont les chances de succès de ce triangle ?
-Selon les Jihadistes d'Aqmi, la coordination se fait avec la région tunisienne de Kasserine, où les cellules d'Al Qaïda se sont installées récemment, et la région algérienne Tebessa – Skikda, où cette dernière a créé, depuis des années, des cellules d'activité. Pour les Jihadistes libyens, ils fournissent les armes et les camps d'entraînement. Ce triangle jihadiste peut se renforcer si la fragilité sécuritaire persiste dans les pays du Maghreb, un scénario qui reste tout à fait possible d'autant plus que la stabilité en Libye n'est pas pour demain, ce qui oblige la Tunisie et l'Algérie à coopérer davantage sur le plan sécuritaire. Une stratégie maghrébine antiterroriste s'impose à la lumière des transformations régionales.
-Existe-il des différences entre nos « Salafistes » et ceux de l'Orient ?
-La référence intellectuelle des « Salafistes » tunisiens se trouve en Arabie Saoudite et en Egypte, elle est alimentée, principalement, par le « Wahabisme ». L'orateur et théoricien « Al Idrissi » de Sidi Bouzid dont la formation est très modeste ne représente aucune référence pour eux. Ce qui nous permet de dire que le courant « salafiste » en Tunisie est importé et n'a pas de rapport avec celui du 19ème siècle où le qualificatif n'était pas péjoratif et signifiait le retour aux sources de la religion. Il existait les « Salafistes éclairés » et les « Salafistes conservateurs » et la plupart d'entre eux étaient apolitiques. L'islam local tunisien n'a pas de conflit avec les Soufis, ni avec les idées réformatrices. En 1803, le Bey de la Tunisie a rejeté une demande provenant de Mohamed Abdelwahab et dans laquelle il le sollicitait d'inscrire notre pays dans le courant « Wahhabiste ».
-Quand le Salafisme jihadiste est apparu pour la première fois dans notre pays?
-Sa première apparition était timide avec un acte terroriste isolé perpétré dans des hôtels à Sousse et à Monastir, en 1986, à l'occasion de l'anniversaire de Bourguiba et où Mahrez Boudagga et Boulbaba Dekhil, les présumés auteurs de ces crimes, étaient condamnés à mort. Cette organisation et d'autres, qui accomplissaient des opérations isolées et limitées, étaient presque absentes de la scène islamique qui était dominée par « Al Ittijah Al Islami », l'ancêtre de « Ennahdha ». A l'époque de Ben Ali, ces organisations se sont, à nouveau, manifestées en 2002 à « Al Ghriba » de Djerba et en 2007 à Soliman, ce qui veut dire que la fréquence des opérations de « Al Qaïda » était lente. On en conclut que la Tunisie était le cercle le plus faible, ce qui pourrait s'expliquer par la politique intransigeante à l'égard de ces extrémistes, mais en Algérie et ailleurs, c'était pareil et pourtant ils ont pu s'implanter. En réalité, ce qui les a empêchés de prendre racine chez nous c'est, comme je vous l'ai dit, l'absence de maquilles et d'assise fanatique, la nature et la culture assume une double fonction : elles sont un handicap pour eux et un rempart pour nous.
-Islam politique et démocratie sont-ils compatibles, selon vous ?
-Je considère qu'au regard de cette expérience d'une année cette compatibilité reste difficile à réaliser, peut-être qu'elle le sera dans l'avenir, mais le bilan actuel nous laisse sceptiques. Je parle d'Islamisme et non pas d'Islam, car, lui, il a fait ses preuves à travers les réformateurs tunisiens et égyptiens de la fin du 19ème et du début du 20ème où le monde arabe était arriéré, ce qui a favorisé sa colonisation par les puissances européennes. Ces réformateurs parlaient de la nécessité d'emprunter à l'Occident son savoir et ses règles relatives à l'organisation politique, et les voix se sont élevées pour réclamer la limitation et la séparation des pouvoirs tout en prétendant que cela ne s'opposait pas à l'Islam qui est venu défendre les intérêts des hommes. Ils réclamaient des principes et des droits et développaient des idées progressistes qu'on appelle, aujourd'hui, le système démocratique et dont on trouve les traces dans la déclaration des droits de l'homme universels. Parmi les réformateurs tunisiens, plusieurs étaient des « Zeitouniens », c'est la preuve que l'Islam légitime l'ouverture sur les civilisations et qu'il a une vision moderniste de la culture. Ce sont les vrais « Salafistes » qui n'étaient pas fanatiques et qui ont participé au mouvement de libération nationale, mais ceux qui existent, maintenant, sont les « néo-salafistes », exactement, comme les néoconservateurs aux Etats Unis, ils n'ont rien à voir avec nos ancêtres. La plupart d'entre eux n'ont ni une culture religieuse, ni une culture jurisprudentielle profonde, ils viennent de milieux déshérités et marginalisés, aussi, ne peuvent-ils pas constituer une école de pensée.
-Le terrorisme en Tunisie a-t-il un avenir?
-Aucun! Tout d'abord le terrorisme en Tunisie n'a pas d'assise sociale mais il ne va pas être démantelé du jour au lendemain. On va peut-être subir quelques opérations et tentatives, mais il connaitra probablement une régression spectaculaire car le terrorisme est intimement lié aux conditions d'instabilité politique et de précarité sécuritaire. Notre géographie et notre histoire rejettent l'enfermement et préconisent l'ouverture, la tolérance et le droit à la différence. Jamais en Tunisie la religion ne s'est mêlée à la politique, ni n'a essayé d'avoir la mainmise sur ce domaine, comme c'était le cas en Europe médiévale où le Pape pouvait destituer le roi. Dans toute notre histoire arabo-musulmane, il existait une complémentarité entre la religion et la politique, mais chacune d'entre elles gardait son indépendance à l'égard de l'autre. Donc, personne ne pourrait nous terroriser au nom de la religion ; les Islamistes soulèvent une question qui n'a jamais été évoquée à travers l'histoire en prétendant que tous les secteurs de la vie doivent avoir une référence religieuse, c'est-à-dire que la foi doit intervenir pour régler la vie des gens. Cette conception de Hassen el Banna, qui risque d'engager le pays dans une turbulence, échouera même si elle est supportée par des forces étrangères, elle ne réussira ni en Egypte, ni en Tunisie. Certes, on ne peut vaincre le terrorisme à 100% même dans les pays stabilisés et développés, mais dans ce cas, il serait une exception et non plus la règle.
-Et quelles sont les solutions que vous préconisez pour lutter contre ce fléau du terrorisme ?
-On peut procéder comme les Algériens qui ont développé le sud limitrophe du nord malien et amélioré le niveau de vie de ses habitants, car il ne faut pas oublier que la plupart d'entre eux sont issus de milieux défavorisés qui constituent un terrain fertile pour le terrorisme. L'approche sécuritaire seule ne résout pas le problème et n'est pas capable d'éradiquer le danger du terrorisme, elle devrait être doublée d'approches sociale, culturelle… En d'autres termes, celui-ci peut être combattu à travers un renforcement de la démocratie aussi bien institutionnelle que culturelle, une instauration d'un système éducatif performant et d'une justice sociale réelle. Il faut savoir accueillir ceux des mille jihadistes partis en Syrie en essayant de les entourer afin de pouvoir les réinsérer dans la société ; leur réhabilitation devrait se faire par une assistance matérielle pour leur permettre de refaire leur vie. Car ces jeunes sont les victimes des manipulations et des lavages de cerveaux pratiqués dans les mosquées laissés sous le contrôle des Salafistes par le gouvernement. Toutefois, il faut les contrôler de très près par la constitution de fiches de sécurité afin de ne pas rééditer l'erreur commise avec les Arabes afghans. Seules les têtes brûlées doivent subir le châtiment qu'elles méritent. Il est aussi impératif d'améliorer la logistique, les conditions de travail de l'armée et des forces de l'ordre ainsi que leur situation matérielle. D'autre part, on doit organiser des congrès à plusieurs échelles, nationale, maghrébine et arabe et y inviter des Salafistes afin d'amorcer une réconciliation avec eux comme en Algérie où plusieurs d'entre eux ont déposé les armes et réintégré la vie civile. Toutefois, toutes ces conditions remplies seraient inopérantes si on ne restaurait pas le service de renseignement qui comprenait de grandes compétences et pour la formation desquelles l'Etat a dépensé une fortune. Grâce à leur grand apport, le terrorisme n'a pas pu pénétrer en Tunisie pendant la décennie sanglante en Algérie. Aujourd'hui, nos frontières sont poreuses et les terroristes et les armes circulent librement.
-Etes-vous optimiste pour l'avenir ?
-Oui, je le suis ! Je suis optimiste quant à la création d'un nouveau gouvernement non partisan; mais je crois que le plus important c'est d'arriver à un consensus sur la nature du système politique et sur le mode de scrutin. Pour le cas de la Tunisie dans son état actuel il serait préférable d'opter pour un régime présidentiel et non présidentialiste. Le pays a besoin d'un homme fort capable de trancher sur les décisions urgentes d'ordre économique et sécuritaire. Il est impératif de rectifier la carte politique dans le pays. Un paysage de 170 partis politiques ne sert ni la démocratie; ni la paix sociale. Il vaut mieux créer des pôles politiques et électoraux regroupant plusieurs partis politiques (un pole libéral; un pole islamiste; un pole de gauche et un pole de nationalistes arabes). Une dizaine de partis politiques sera largement suffisant pour le cas de la Tunisie. L'Etat tunisien moderne doit se bâtir sur la base de la citoyenneté et sur la non instrumentalisation du religieux au profit du politique. Cet Etat s'inspire des principes d'un islam tolérant et modéré et du patrimoine universel des droits humains. L'Etat tunisien de demain sera l'Etat des droits de l'Homme, y compris les droits de la Femme et des minorités.
-On ne cesse de parler de l'exportation du modèle tunisien, êtes-vous pour cette thèse ?
- Les Tunisiens, après la révolution de 2011, n'ont pas l'intention d'exporter leur modèle. Une démocratie à la tunisienne ne pourrait intéresser que les Tunisiens, car ce qui les préoccupe ce sont les considérations d'amitié avec les pays frères et amis. Ainsi il sera possible de renforcer la coopération économique et sécuritaire pour réduire le danger du terrorisme qui menace tous les pays, parce que le terrorisme reste toujours lié à l'absence d'un Etat fort et démocratique et d'une stratégie socio-économique efficace.


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