L'Association des magistrats tunisiens a réclamé l'harmonisation des législations organisant la justice militaire avec les dispositions de l'article 110 de la nouvelle Constitution. Cet appel a été lancé avec l'intention de rompre définitivement avec les tribunaux d'exception à l'avènement de la deuxième République. Dans cet article il est stipulé : « Les catégories de tribunaux sont créées par une loi. Sont interdites, la création de tribunaux d'exception et l'édiction de procédures exceptionnelles de nature à porter atteinte aux principes d'un procès équitable ». En effet, avec les tribunaux d'exception, il n'y aucune possibilité de garantir un procès équitable à ceux qui y comparaissent, surtout s'il s'agit de tribunaux ad hoc, c'est-à-dire créés pour juger particulièrement une certaine catégorie de personnes, dans des procès politiques. A l'ère du colonialisme, ceux qui avaient comparu devant le tribunal militaire, étaient des militants qui s'étaient opposés contre les autorités coloniales, et furent pour cette raison condamnés à mort et exécutés sans aucune garantie des droits de la défense. A l'aube de l'indépendance, le tribunal populaire, constitué pour juger les yousséfistes, a rendu des jugements à la peine capitale qui étaient exécutés sans aucune autre forme de procès. Il y a eu également la Cour de sûreté de l'Etat, un tribunal d'exception qui avait rendu également des jugements sans la garantie d'un procès équitable et fut supprimé sous le président déchu. Or le premier souci des membres de l'ANC, était de consacrer dans la nouvelle Constitution le principe de procès équitable, qui tiendrait compte des droits de la défense. Cela englobe tous les éléments tendant à procurer à l'accusé toutes les garanties nécessaires en vue de la consolidation de l'indépendance de la Justice. Toute décision entachée d'impartialité et de subjectivisme, ne peut qu'inciter à la corruption, comme ce fut le cas durant l'ancien régime. Il faut cependant faire la différence entre les tribunaux d'exception et les tribunaux spécialisés. Ces derniers sont créés en fonction de la spécificité des affaires qui sont de leur ressort. C'est le cas du conseil des prud'hommes, compétent pour litiges nés des relations du travail, ou le tribunal de commerce, compétent dans les litiges entre commerçants eux-mêmes ou entre ces derniers et des civils. Quid du tribunal militaire? Ce dernier serait plutôt un tribunal d'exception, car il favorise les militaires à l'occasion d'un litige né entre ces derniers et des particuliers. Cela ne permet pas en effet un procès équitable, tant qu'il y a une partie défavorisée. C'est la raison pour laquelle, l'Association des magistrats tunisiens a réclamé l'harmonisation des législations organisant la Justice militaire avec les dispositions de l'article 110 précité, en vertu duquel il est stipulé dans son dernier alinéa: «Les tribunaux militaires sont des tribunaux compétents pour les crimes militaires. Leur compétence, leur structure, leur fonctionnement, leurs procédures et le statut de leurs magistrats sont déterminés par la loi. Il faut entendre par crimes militaires, toutes les infractions d'ordre militaire et qui sont donc à priori commis dans un cadre militaire. Qu'en-est-il cependant d'un militaire qui commet une infraction de droit commun? Il est jugé désormais et en vertu de l'article 110 de la nouvelle Constitution, par un tribunal de droit commun. Il en va de même lorsqu'un militaire est victime d'un délit de droit commun. Cela dit, le tribunal militaire fera partie, du pouvoir judiciaire dans sa totalité et c'est la raison pour laquelle l'Association des magistrats a appelé le parlement à légiférer en vue de l'extension aux tribunaux militaires des garanties d'indépendance reconnues au pouvoir judiciaire. Le tribunal militaire est désormais un tribunal spécialisé et non un tribunal d'exception. Doit-il se dessaisir des affaires actuellement pendante devant lui au profit du tribunal de droit commun ? En tout état de cause les justiciables concernés par ces affaires auront la possibilité, selon la plupart des juristes et membres d'association de défense des droits de l'Homme, de soulever le problème d'inconstitutionnalité des décisions du tribunal militaire, ce dernier étant incompétent selon la nouvelle Constitution. Raison pour laquelle, l'Association des magistrats tunisiens a demandé à l'Assemblée des représentants du peuple, à installer la Cour constitutionnelle, ainsi que du Conseil supérieur de la Magistrature dans les délais fixés par la Constitution. Constitué démocratiquement, ce dernier aura en effet pour rôle de se prononcer à travers l'un de ses organes, l'Instance des conseils juridictionnels, de se prononcer sur les projets de loi concernant le système juridictionnel. Quant Conseil constitutionnel, il est seul compétent désormais pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois et qui constitue l'un des principaux apports de la nouvelle Constitution, car désormais un justiciable peut à l'occasion d'une affaire soulever l'inconstitutionnalité d'une loi. Le tribunal devant lequel est soulevé le problème, doit soumettre la loi concernée au Conseil Constitutionnel, suivant la procédure de la question préjudicielle. Les juridictions d'exception sont à caractère inconstitutionnel et elles n'ont plus de ce fait leur raison d'être sous l'empire de la deuxième République.