Le poème en prose existe plus que jamais aujourd'hui, après avoir connu un essor considérable à travers le monde depuis les années soixante. Apparu en France, le poème en prose est resté longtemps l'apanage des poètes français, notamment au XIXe siècle avec Aloysius, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Char... Le « proème », ce mot-valise, forgé en 1948 par Francis Ponge, par contamination de PRO (se) et de (po) ÈME, passe ainsi pour un nouveau genre qui transcende à la fois le poème et la prose : c'est la prose poétique ou le poème en prose. Sa pratique s'est répandue au XXe siècle en France pour gagner du terrain peu à peu en Europe de l'Est et de l'Ouest, en Scandinavie, en ex-Union Soviétique, en Amérique du Nord et du Sud et même au Japon. L'avènement de la poésie en prose dans le monde arabe a suscité des réactions hostiles chez certains écrivains et penseurs arabes Dans son livre intitulé « Le poème en prose arabe », faisant l'objet d'une thèse de doctorat en Etudes Arabes, soutenue en 2012, Salah Dhiab écrivit : « Le poème en prose arabe a imposé une rupture brutale avec la métrique et les thèmes d'inspiration qui ont dominé le paysage poétique arabe durant des siècles. Il a fallu attendre le début du vingtième siècle, les mutations de la société et l'arrivée de traductions étrangères pour que se développent une nouvelle sensibilité poétique et de nouvelles aspirations. Elles se manifestent tout d'abord dans la prose poétique de Jibran Khalil Jibran (1883-1936) et dans la prose artistique d'Amin al-Rīhani (1876-1940). Orkhan Muyassar (1914-1965) et Khaireddine al-Asadi (1900-1971) conduisent, à leur tour, la poésie prosée vers le poème en prose. Enfin, Muhammed al-Maghout, (1934-2006) et Ansi al-Haj, en libérant définitivement la poésie arabe de la rime et de la métrique, érigent la prose au rang de poésie. Ainsi, le poème en prose s'impose comme la forme poétique la plus apte à saisir l'instant historique et la condition de l'individu arabe moderne et il est presque aujourd'hui la seule forme adoptée par les poètes... » Le poème en prose est un genre littéraire poétique qui n'utilise pas les techniques de rimes, de versification et qui n'a pas non plus la même disposition du texte traditionnel de la poésie métrique, mais qui peut lui ressembler surtout dans l'utilisation des figures de style (comparaison, métaphore, métonymie, oxymore...) et des effets sonores et rythmiques (allitération, assonance, anaphore...), sans oublier qu'un poème en prose doit contenir les traces de l'imagination du poète et les marques de son style original ; ce qui donne une certaine musicalité au texte. On trouve également dans un poème en prose les traces de l'imagination du poète, ce regard particulier qu'il pose sur le monde. C'est que la poéticité d'un texte n'est pas forcément liée à son genre et sa forme. Comme le poème en vers, le poème en prose est suggestif et évocateur par le biais des images. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans le recueil de Moncef Khalladi qui vient d'être publié aux Editions Zeineb. En effet, Moncef s'inscrit parmi les poètes qui ont sorti la poésie du joug des contraintes poétiques vers la prosaisation. Il se met ainsi au-delà des règles classiques contraignantes qui géraient la poésie, en restant à mi-chemin entre le texte poétique et le texte prosaïque. Il ne compose pas la poésie libre ni la poésie classique. Son plaisir réside dans le fait d'étendre son génie poétique et sa liberté créatrice, étant toujours conscients des contraintes de la langue et du rythme des phrases, éléments fondamentaux de sa poésie en prose. Ces textes, apparus en vrac dans le recueil, ne répondent à aucun ordre chronologique, étant rédigés à des moments divers s'étalant sur plusieurs années, suite à des expériences personnelles ou des circonstances bien déterminées, vécues par le poète. Les thèmes sont nombreux et variés allant des petites scènes quotidiennes aux questions politiques, sociales ou existentielles (amour, vie, mort, rêve, monde fantastique, liberté, égalité, injustice...), d'où le grand nombre de titres donnés à ses poèmes en prose dont chacun ne dépasse pas en moyenne deux pages de longueur. Le contenu est si bien ciselé qu'il produit une forte impression esthétique. « Je serai toujours près de la fenêtre » est un titre révélateur, dans la mesure où la fenêtre est ce lieu d'où l'œil du poète capte le monde extérieur et le fait sortir de sa tour d'ivoire pour s'immiscer dans son entourage, d'où il peut contempler le paysage à travers les saisons, d'où il peut suivre les comportements et les attitudes des individus, d'où il peut embrasser de nouveaux horizons plus immenses qui lui inspirent le rêve et l'invasion.