Dans l'intervalle de quelques mois seulement, la chute des prix du pétrole a été aussi spectaculaire que leur flambée. Les deux mouvements, à la hausse et la baisse, s'associent pour dresser l'image d'une volatilité très préoccupante et sans précédent. Entre le pic-record frôlant 148 dollars américains, au cours du mois de juillet, et un baril dont le prix continue à s'enliser tragiquement pour se rapprocher des 30 dollars, résident tous les dysfonctionnements, incohérences et soubresauts qui amochent, aujourd'hui, sardoniquement une économie mondiale dont les modes de gouvernance sont, naturellement, plus que jamais contestés. Quelques années auparavant, un seul changement brusque des cours normaux était qualifié de choc et provoquait ainsi des réactions rapides et rigoureuses à l'échelle mondiale. De nos jours, les fluctuations, aussi importantes qu'elles soient, semblent avoir lieu dans l'ombre. On n'en parle même plus, ou bien on en parle de moins en moins. Pourtant, l'impact des prix du pétrole sur le quotidien des peuples dans les quatre coins de la planète n'est pas à démontrer. Il semble que l'impact psychologique est extraordinairement amorti, à force d'entendre, chaque jour, les mauvaises nouvelles de la sphère financière. Et ce n'est pas, d'ailleurs, le seul soupçon de complicité à l'égard de la crise financière et économique.
De retour à la tendance baissière actuelle, on ne peut s'empêcher de s'interroger : à qui profite la baisse des prix ? La réponse aurait pu être relativement simple, si la conjoncture économique mondiale était stable. Mais dans ce contexte de crise, la réponse semble devenir nettement plus compliquée.
Pour expliquer, la première réflexion que l'on pourrait développer est que la baisse profite aux Chinois, l'Empire du Milieu étant qualifié de véritable éponge de pétrole. Si ce raisonnement paraît assez correct, il n'en demeure pas moins que la récession économique commence actuellement à frapper la Chine; et que la baisse n'intervient pas, de ce fait, au moment où la demande chinoise est à son niveau supérieur ou même normal. Le même constat vaut, d'ailleurs, pour les économies de l'Europe et du Japon, dépendantes sur le plan énergétique, mais dont la récession notoire empêche de maximiser le profit résultant de la chute des prix.
Cette baisse semble donc mieux profiter aux économies émergentes qui comptent moins sur le secteur industriel et qui ont su résister à la crise. Notre économie tunisienne s'intègre aisément dans cette vision. Après avoir traversé une période difficile, la Caisse générale de compensation pourrait retrouver ainsi son souffle.
A contrario, la baisse joue, certes, un mauvais tour pour les pays exportateurs du pétrole. Ces derniers trouvent, encore une fois, leur marge de manœuvre habituelle considérablement réduite par les effets de la crise actuelle. Lorsque les prix repartent à la baisse, les 12 pays membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), qui représentent ensemble près de 42% de la production mondiale, procèdent d'habitude à une baisse du volume de leur production, et ce, afin de donner un coup d'arrêt à l'effondrement des cours. Cependant, cette baisse ne peut pas cette fois être une solution confortable, puisque, outre leur souci commun de préserver leurs pétrodollars, les pays de l'Opep ne devraient pas non plus aggraver la crise des économies occidentales. Une mauvaise issue dont le résultat, quasi immédiat, sera une diminution, encore plus aigüe et plus nuisible à eux, de la demande en pétrole. Et les consommateurs ?
A priori, les consommateurs, de la plupart des pays du monde, devraient profiter de la baisse des prix du pétrole. Nombreuses compagnies aériennes ont réduit la surcharge carburant, qu'elles ont augmentée à mesure que le prix du kérosène flambait. Les prix des carburants à la pompe (là où ce système est pratiqué) ont fortement baissé et l'inflation suit également le mouvement, ce qui est aussi de nature à freiner l'indexation automatique des salaires.
Toutefois, ce schéma heureux n'a pas été souvent systématique. Plusieurs distributeurs de produits pétroliers ont révisé à la baisse de 20% ou 30% seulement les prix du gazole et du sans-plomb, alors que le prix du Brent enregistrait une chute de près de 70%, en même temps. Dans pas mal de cas, comme celui de la France, les distributeurs n'ont pris l'engagement de modérer leurs prix de revente qu'après une bonne période de répit et, donc, de profit aux dépens des consommateurs.
D'autre part, et selon le point de vue de certains analystes, il ne faut pas se livrer à l'optimisme ! Ils pensent que ceux qui se félicitent de cette baisse du prix du baril risquent de s'en mordre les doigts. Pour la simple raison qu'au prix actuel, on arrêtera l'exploitation (plus coûteuse) de puits en eaux profondes et que ce manque de production conduira, plus tard, à une nouvelle pénurie et, par voie de conséquence, à un nouveau mouvement haussier des prix. Dans le même ordre d'idées, d'autres experts voient qu'un baril faible présente un danger de plus, qui est le risque de gel des investissements et de la recherche de nouvelles techniques en matière d'extraction de pétrole. Sans oublier les investisseurs dans les énergies alternatives, qui risquent, à leur tour, de remettre leurs projets aux calendes grecques. Bref, qu'il soit trop cher ou bon marché, le prix du baril ne peut certainement pas plaire à tout le monde.