L'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication a organisé, hier, une table ronde destinée à l'examen du nouveau projet sur le Code de la presse. Kamel Laâbidi, responsable chargé de cette Instance, a indiqué, d'emblée, que l'Instance a réussi à obtenir le document par ses propres moyens; un projet qui n'a eu que des échos dépréciatifs voire d'indignation tant de la part des journalistes présents, des membres de l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication que du Syndicat des journalistes tunisiens. La dépréciation et le sentiment d'indignation sont nettement justifiés. Le projet de loi s'avère, en effet, une nette intention d'oppression de la liberté de presse et d'expression. «Notre rencontre a pour finalité d'examiner ce projet qui n'est autre qu'un premier jet et dont nous ne sommes aucunement satisfaits en raison de l'inclusion de textes de loi contrecarrant les normes internationales pour la liberté de presse», indique M. Laâbidi. En examinant, au fur et à mesure, le projet de loi de presse, l'assistance a affiché, et à l'unanimité, son étonnement et son refus quant aux articles pénalisant les journalistes et atténuant sensiblement le droit à la liberté de presse. Mme Kalthoum Kannou, membre de ladite instance, a condamné l'article premier qui consacre un code pour réglementer la presse. «Les textes de loi exigeant la liberté de presse doivent être mentionnés dans la Constitution et non dans un code, et ce, afin qu'ils aient plus de légitimité», indique-t-elle. Et d'ajouter qu'il n'y a pas de raison pour consacrer un volet aux lois de pénalisation contre l'encouragement aux crimes et aux délits via les médias. Mme Kannou a fait part de son étonnement quant à ce projet dont la moitié consiste en des textes de loi à caractère répressif. «D'autant plus que le projet ne définit même pas le statut du journaliste», s'exclame-t-elle. Pour sa part, M. Néji Bghouri, président du Syndicat national des journalistes tunisiens, a rappelé que l'article 8 de l'ex-Constitution imposait la liberté de presse, d'expression et d'opinion, sauf que cette imposition est restée au stade théorique. D'après lui, le présent projet s'avère propice à l'oppression de la liberté de presse. «Devoir s'adresser au ministère public pour avoir l'autorisation de fonder un journal annule la position de l'Instance à cet effet ce qui est inadmissible», fait-il remarquer. M. Bghouri rappelle que le Code de la presse n'est aucunement indispensable et que bon nombre de pays s'en passent. «L'important, propose-t-il, c'est de se conformer aux principes et à la déontologie journalistiques, et ce, dans le cadre d'un pacte d'honneur. Il s'avère également nécessaire de mettre en place des textes de loi justifiant le droit du journaliste à l'accès à l'information auprès des institutions». Un avis que partage M. Laâbidi qui dénonce la régression déçevante qu'a connue le domaine de la presse durant les dernières années. Parmi les pratiques inadmissibles qu'ont dû endurer les journalistes, M. Laâbidi cite l'oppression effectuée par l'ATCE, la difficulté d'accès à l'information, la fermeture de plusieurs organes de presse afin d'opprimer tout esprit critique. M. Bghouri constate non sans étonnement la reprise intégrale de plusieurs paragraphes de l'ancien Code de la presse. Il lève, par ailleurs, le voile sur une réalité amère: «La situation de la presse s'est tellement dégradée que ce domaine est devenu l'issue des personnes de niveau médiocre», fait-il remarquer. Prenant la parole, M. Hichem Snoussi a indiqué que l'élaboration de ce projet n'est pas fondée sur des bases solides vu qu'elle n'a pas impliqué les journalistes. «Pourtant, l'avis des journalistes est déterminant. D'autant plus qu'il est temps de diffuser une culture politique nouvelle. Le contenu du présent projet suscite bien des interrogations. Ce qui est évident, c'est que celui qui a élaboré ce projet ne dispose aucunement d'un esprit politique nouveau», indique-t-il. Le débat s'est poursuivi sur le même ton d'étonnement et d'indignation non sans une ironie d'ailleurs ; une ironie suscitée par les lacunes décelées. Mme Hamida El Bour, professeur à l'Ipsi, dénonce la pénalisation des journalistes. Elle s'exclame quant au niveau minimal requis chez un responsable d'un organisme de presse et figurant dans le projet. «Le baccalauréat comme niveau minimal pour un directeur de presse !! Ça promet!!», note-t-elle ironiquement. Elle propose, par ailleurs, l'organisation de multiples débats entre les spécialistes de l'information et de la communication afin de s'entendre sur les principes de base d'un nouveau Code de la presse; lesquels principes et en collaboration avec les hommes de droit seront traduits en des textes de loi. M. Khemaïs Krimi a qualifié ce projet de choquant puisqu'il favorise l'oppression de la liberté de presse. «Il est impératif que la liberté de la presse soit verbalisée au niveau de la Constitution. Et il est vraiment temps d'instituer le 4e pouvoir. Pour réformer le secteur de l'information, il s'avère indispensable de multiplier les points de presse, de décentraliser l'information, d'encourager la spécialisation des journalistes, de dynamiser le recrutement au sein des organismes de presse et de garantir l'indépendance du Capjc», recommande -t-il. Pour sa part, M. Ali Ibrahim, journaliste à la Radio nationale, a appelé à l'élaboration de textes de loi protégeant les journalistes, surtout que ces derniers endurent des risques énormes et reçoivent souvent des menaces redoutables. Il constate que le présent projet focalise essentiellement sur la presse écrite; une maladresse à rectifier pour être en harmonie avec un paysage médiatique moderne, comptant également l'information audiovisuelle et numérique. Prenant la parole à son tour, Me Mohamed Abbou a indiqué qu'il est important pour un projet de loi réglementant le secteur de l'information d'inclure des textes de dissuasion au crime via la presse. Toutefois, il a relevé bon nombre de lacunes et de maladresses, suffisamment pour en tout cas rejeter ce projet.