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Qui a commandité le missile de M6 sur la Tunisie, pour quel agenda?
Publié dans Tunisie Numérique le 06 - 03 - 2024

Nous posons d'emblée cette question pour que ceci soit définitivement réglé : "Tunisie Numérique" ne verse pas dans le complotisme. En d'autres termes nous ne croyons pas une seconde que la chaîne privée M6 est la courroie de transmission d'une officine secrète nichée à la Présidence française ou ailleurs qui chercherait à frapper les intérêts du "pays du Jasmin". D'ailleurs dans la même soirée où la fameuse émission sur la Tunisie a été diffusée M6 a enchainé avec un programme détonnant sur l'Arabie saoudite, intitulé "Entre Tyrannie et Modernité". On connait les liens entre Riyad et Paris, si l'exécutif français téléguidait la chaîne il n'aurait pas laissé dire tout ça sur l'Arabie saoudite. M6 n'est pas le relais d'une idéologie politique comme CNews l'est pour la droite et l'extrême droite. M6 cherche avant tout à faire de l'argent, s'il le faut avec des "bad buzz", c'est ce qui arrivé avec la Tunisie…
"Enquête exclusive" ils ont osé dire !
Il y a à boire et à manger dans la soupe indigeste servie par la chaîne française. Même quand elle s'attaque à des sujets moins complexes tels que la guerre des gangs à Rio, Mexico ou aux narcotrafiquants de la Colombie elle fait preuve de plus de perspicacité, de sagacité. De toute évidence la copie qu'elle a rendue sur la Tunisie est médiocre, vole très bas sur le plan déontologique et professionnel mais surtout fait de graves omissions et confusions, enjambe des pans essentiels de la post-Révolution… Bref, l'"Enquête exclusive" est passée à côté de sa cible pour s'écraser sur la réputation d'un pays dont l'exploit en 2010-2011 méritait mieux que ce traitement médiatique nourri par des poncifs et des contre-vérités.
Je commencerai par une contre-vérité flagrante sur le tourisme, qu'on a dépeint comme agonisant, moribond. Or il n'a échappé à personne – en tout cas pas aux Tunisiens – que les indicateurs du secteur ont retrouvé le niveau de 2019. Il est possible que M6 ignore tout ça, après tout ça peut arriver. Mais qu'en plus de l'ignorance elle ne daigne pas se renseigner, enquêter comme elle a prétendu le faire, la chaîne ajoute une faute impardonnable. Ce n'est pas ça que les Tunisiens attendaient de cette émission qui est sur toutes les lèvres depuis qu'on l'a annoncée.
Ennahdha blanchie comme neige, ou presque…
Par ailleurs il y a cette évocation à minima du mouvement qui s'est cramponné au coeur de la vie politique jusqu'au 25 juillet 2021, date à laquelle le président Kais Saied l'a stoppé net : Ennahdha. Les affidés des Frères musulmans, qui sont sans doute la plus grande calamité que ce pays ait jamais connue, méritaient une charge plus violente. M6 n'avait rien à dire sur le terrorisme qu'ils ont laissé prospérer et sur les départs massifs de djihadistes vers les zones de conflit, des faits qu'ils ont couverts et même encouragés ? La chaîne française n'avait rien à dire sur les errements qui ont grevé les finances publiques, ruiné le pays et conduit à un niveau d'endettement sans précédent ?
Est-ce que M6 n'avait rien à proposer sur cette petite et grande corruption que Rached Ghannouchi et compagnie ont laissé essaimer au point de plomber durablement toute une économie ? Même quand les électeurs tunisiens ont éjecté par la porte les islamistes en 2014 en pariant sur feu Béji Caied Essebsi ils sont revenus par la fenêtre – une erreur historique de Essebsi – et ont continué à martyriser ce pays qu'ils disaient aimer. Pourquoi M6 n'a pas dit un mot sur tout ça ? Pourquoi la chaîne n'a trouvé à Ennahdha que de "petites erreurs de jugement" presque sans conséquences et s'est bornée à filmer quelques uns des bourreaux de la Tunisie, dont Samir Dilou, dans une réunion présentée comme clandestine au motif qu'ils sont persécutés par le pouvoir ?
Quid de la responsabilité de Sarkozy, Macron… ?
La chaîne française a le droit de traiter les sujets qu'elle veut sur la Tunisie, personne ne peut lui dénier ce droit, mais si elle choisit de traiter un dossier aussi complexe que la trajectoire du "berceau du Printemps arabe" elle se doit d'en évoquer objectivement tous les aspects. On ne peut pas imposer à M6 sa ligne éditoriale mais les histoires qu'elle raconte appartiennent aussi à des gens, des nations. Elle n'a pas le droit de les travestir, comme elle a travesti le départ massif des jeunes Tunisiens vers des cieux plus cléments, en y fourrant pêle-mêle les migrants illégaux et les bras et cerveaux qui migrent le plus légalement du monde. M6 a surtout omis, sciemment ou pas, de pointer toutes les responsabilités dans cette affaire, on n'a vu que celle des autorités tunisiennes…
Or n'est-ce pas l'ancien président français Nicolas Sarkozy qui a inventé "l'immigration choisie" ? Une nouvelle doctrine qu'il avait théorisée dès avril 2008 lors de sa visite à Tunis : l'Europe a "l'intelligence", les Tunisiens ont "la main d'œuvre". Une nouvelle doctrine que la France, l'Allemagne et d'autres ont poussée jusqu'à venir jusqu'en Tunisie pour piocher les talents dont ils ont besoin, et tant pis pour tous les autres qui ont un appétit pour l'Europe, quitte même à les laisser mourir dans la Méditerranée. Que dire de ces rencontres organisées par de grandes entreprises françaises dans des hôtels huppés en Tunisie pour débusquer les ingénieurs qui iront muscler les entreprises à Paris et ailleurs. Que dire de ces discrets roadshow à Tunis pour permettre aux hôpitaux allemands d'aspirer des médecins qui manqueront à la Tunisie.
M6 a zappé royalement tout ça et beaucoup d'autres choses. De toute évidence le titre de l'émission était trop grandiloquent par rapport à son contenu. Encore une fois nous ne voyons pas d'ennemi de la Tunisie tapi derrière ce programme, et encore moins une frappe orchestrée par des parties qui auraient un quelconque lien avec les hautes sphères en France. Cette dernière a déjà suffisamment de travail avec le sentiment anti-français qui enfle partout en Afrique. Au contraire ce que Paris cherche par-dessus tout ce sont des amis. En signant ce ratage total M6 a rendu un très mauvais service à son pays.

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