TUNIS (TAP/ Mériem Kadhraoui) - "Sans les crédits de la BH (Banque de l'Habitat) et en absence d'autofinancement, il est impossible de réaliser le rêve de nombreux tunisiens, d'acquérir un logement ", lâche désespérément, M. Drissi, quadragénaire, fonctionnaire dans un établissement public. «Deux cents dinars par mois de loyer, c'est déjà trop alors que je suis au chômage, mais actuellement c'est le moindre prix à payer, nous nous estimons heureux d'avoir une maison S+2, plus ou moins spacieuse, à ce prix là», assure Mme Monia, sous le regard acquiescent de son mari. Pour les Drissi, le rêve d'avoir leur propre maison est de plus en plus difficile à atteindre au vu des prix «brûlants» des logements, notamment, dans la capitale où ils sont installés. Parents de deux enfants, ils se contentent, depuis 8 ans, de leur statut de locataires dans la zone de Ksar Saïd. Les dernières statistiques de l'INS confirment la hausse des prix des logements destinés à la location. Jusqu'au mois d'Août dernier, les loyers ont augmenté de 4,6% et l'affluence des tunisiens de toutes les régions vers la capitale pour travail ou pour études, n'a fait que favoriser l'ascension des prix. En tant que connaisseur du marché de l'immobilier, M. Moncef Kooli, PDG de la société immobilière «Essoukna» et président de la chambre syndicale des promoteurs immobiliers (UTICA), estime que «seule une tranche de 7% de la population tunisienne est en mesure d'acheter, au comptant, des logements de standing, dont les prix peuvent aller jusqu'à 200 mille dinars. 15% des tunisiens peuvent accéder à des logements dont le coût s'élève de 100 à 150 mille dinars, en recourant aux crédits bancaires». En revanche, «78% des tunisiens, dont une partie de "non bancables" » (taxistes, petits commerçants..), requièrent des solutions radicales, par exemple des fonds de garantie, pour permettre leurs accès aux crédits logement, reconnaît le responsable. Le logement social n'est pas un sous-produit Même si les promoteurs immobiliers privilégient les logements de type «économique » et «standing», «le logement social n'est pas un sous-produit», a-t-il relevé. «Aujourd'hui, il est presque impossible, avec la hausse des prix des matériaux de construction et des terrains, de construire des logements, selon les critères du "social" pour les vendre entre 35 et 50 mille dinars». Si l'Etat met en place des mécanismes et des avantages préférentiels pour la construction de ce type de logements «les promoteurs privés n'hésiteront pas y à contribuer», a déclaré M. Kooli. Pourtant, nombreux sont les tunisiens qui, confiants dans le nouvel élan de patriotisme, caressent, aujourd'hui, l'espoir de voir les promoteurs immobiliers «s'aligner, sans exigences, sur les nouvelles réalités sociales, en réduisant les prix de leurs offres». Leurs attentes risquent d'être déçues. Car «il n'y a aucun espoir de voir les prix baisser, au contraire, ils iront crescendo, j'en suis certain», a déclaré M. Kooli. «C'est le marché qui fixe les prix, tant que la demande est en perpétuelle croissance, les promoteurs continueront de vendre, surtout des logements de type «économique» et «standing» », a-t-il dit, s'opposant, en cela, aux avis de certains de ses confrères qui évoquent une augmentation des stocks de logements invendus et un ralentissement des chantiers immobiliers. «Nos ventes se sont accrues, cette année, par rapport à 2010, nous avons des projets en cours et d'autres que nous allons entreprendre», a-t-il avancé, très confiant en «l'avenir de l'immobilier et l'avenir de la Tunisie en général». Ni la hausse des prix des matériaux de construction, (le prix de vente du ciment a atteint dans certaines régions, 15 dinars le sac), ni celle des terrains et de la main d'œuvre ne semblent dissuader M. Kooli de réaliser de nouveaux projets. Selon lui, «il y a d'autres facteurs qui joueront au profit de la promotion immobilière ». En première ligne, figure la demande qui ne fléchit pas et la tendance, après la révolution, des tunisiens résidents à l'étranger à acquérir des maisons en Tunisie. La philosophie du logement social à réviser Pour ce qui est de la SPROLS, société de promotion des logements sociaux, elle «ne bénéficie d'aucun avantage, ni de mécanismes spécifiques par rapport aux promoteurs privés, alors qu'elle est appelée à développer ce type de logements», a précisé son PDG, M. Ramzi Jallel. La société, qui gère le parc de logements sociaux pour le compte de la CNSS (Caisse nationale de la Sécurité Sociale, reconvertie CNAM) et qui représente, aux yeux de nombreux de tunisiens aux revenus modestes, l'unique solution pour accéder au logement, s'est trouvée, après la révolution dans une situation financière difficile (18 milliards de dettes envers la CNSS). Elle a été, aussi, confrontée à des problèmes de logements squattés (88 logements à Douar Hicher et 49 logements à Frina (Monastir)). La SPROLS est appelée, également, à régler les dossiers des logements qu'elle loue et dont les locataires réclament, le statut de propriétaires, sans pour autant continuer de payer les loyers. Pour permettre à la SPROLS de construire de nouveaux logements sociaux, «Il faut revoir et réadapter les critères du FOPROLOS» (Fonds de promotion des logements pour salariés) suggère M.Jallel. Institué en 1977, le FOPROLOS, fonds géré actuellement par le ministère de l'Equipement et alimenté par une contribution à la charge de tout employeur public ou privé exerçant en Tunisie, a permis à 10 000 tunisiens d'accéder aux logements sociaux. «Il est presque impossible, aujourd'hui, de construire des logements avec les critères du FOPROLOS, compte tenu de l'envolée des prix des matériaux de construction, des terrains et de la main d'œuvre. La solution réside dans la réadaptation du fonds aux nouvelles réalités. Les prix ne baisseront pas tant qu'il n'aura pas une révision de la politique globale de l'habitat et de toute la philosophie du logement social», estime le premier responsable de la SPROLS. M. Jallel plaide, ainsi, en faveur d'un engagement de l'Etat pour réaliser cet objectif et pour une contribution de tous les acteurs immobiliers privés et publics (SNIT, AFH.) et les fournisseurs de réseaux publics (STEG, SONEDEà.) dont les prix s'envolent; l'installation d'un seul compteur- STEG est estimée actuellement à environ 2.600 dinars. Pour compenser les charges de tout intervenant, M. Jallel suggère le recours à la technique de péréquation, opération qui vise à partager les charges financières proportionnellement aux possibilités de chaque des intervenants. Selon le département de l'équipement, une étude approfondie sera élaborée très prochainement pour trouver des solutions aux problèmes du secteur immobilier et concevoir de nouvelles visions susceptibles de garantir une adéquation entre l'offre et la demande. Jusqu'à ce jour, le parc national du logement est en hausse de 22%. Le nombre des logements édifiés a atteint 14 000 dont 62% dans le Grand Tunis, sachant que 93% des activités des promoteurs se concentrent à Tunis, Nabeul, Sousse et Sfax. Pour le couple Drissi, il reste encore un espoir de voir le logement social, l'un des droits fondamentaux de l'homme, figurer parmi les priorités des prochaines politiques de développement en Tunisie. Ceci leur permettra peut-être d'éviter de répondre, agacés, à la question, pourtant très innocente de leur petite fille : «Pourquoi vous donnez tout cet argent à cet homme, chaque fois qu'il nous rend visite?».