Le projet d'accord sur le siège en Tunisie du Fonds de développement qatari a été voté tard dans la nuit d'hier, mercredi 30 juin 2021, avec 122 voix pour, 12 contre et 1 abstention. Le PDL a vigoureusement protesté contre le vote de cet accord qu'il estime colonialiste, accusant ses défenseurs de vouloir « vendre le pays ». Une plainte a même été déposée près du Tribunal de première instance de Tunis à l'encontre du président de l'ARP et chef d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, pour falsification et escroquerie.
Contexte de signature du mémorandum d'accord
Cet accord a été signé le 12 juin 2019 entre l'Etat tunisien et le Fonds de développement qatari dans le but de financer des projets de développement dans les domaines de l'énergie, l'éducation, la formation, la recherche scientifique, la santé, les ressources naturelles, l'agriculture, la pêche, l'industrie, le logement, tourisme, technologies de l'information et de la communication et autonomisation économique. Cet accord remonte à 2016, lorsque le Qatar a accordé 250 millions de dollars à la Tunisie dans le cadre de la Conférence d'investissement 20-20 pour contribuer au financement de projets de développement en Tunisie. Un mémorandum d'accord a été signé à cette occasion concernant la création d'un bureau pour le Fonds de développement qatari en Tunisie et le Fonds a participé au financement d'un hôpital d'enfants à Tunis avec la somme de 82 millions de dollars.
Que dit l'accord ?
Art 2 et 3 L'objet de cet accord concerne donc l'ouverture d'un bureau pour le Fonds qatari pour contribuer au financement de projets de développement, à promouvoir les objectifs du siège, à accorder les facilités nécessaires à la mise en œuvre des projets de développement proposés au financement par le Fonds. Il s'agit aussi de définir les droits et obligations de chacune des parties, déterminer le cadre fiscal et juridique et les conditions sur la base desquelles le bureau sera ouvert et la mise en œuvre des projets.
Selon le projet d'accord, le bureau tunisien du Fonds qatari a également pour but de renforcer la coopération bilatérale et d'augmenter le soutien octroyé par le Qatar à la Tunisie à travers le financement de projets de développement, la fourniture de soutien technique et le renforcement des compétences dans les projets qu'il finance ou dans lesquels il investit. Il examine également des projets sur proposition de la partie tunisienne, et il a le droit de suivre, gérer et superviser leur mise en œuvre.
Il convient de noter que l'art-4 de l'accord stipule que les finances du Fonds ne sont soumises à aucun paiement d'impôt, restriction, ni taxe ou taxe douanière, y compris sur les intérêts perçus lors du remboursement des prêts.
L'article 5 oblige le gouvernement tunisien à accorder aux employés du bureau qatari qui ne possèdent pas la nationalité tunisienne une autorisation de travail et une attestation de résidence conformément à la législation en vigueur.
L'article 6 de cet accord accorde au bureau du Fonds le statut de personne morale pouvant conclure des contrats et posséder des biens mobiliers et immobiliers et lui permet également de participer ou de constituer des sociétés affiliées ou des fonds d'investissement conformément à la législation tunisienne.
L'article 7 de l'accord accorde de nombreuses facilités au bureau du Fonds de développement en Tunisie, notamment en obligeant l'Etat tunisien à ne prendre aucune mesure qui entraverait directement ou indirectement les projets de développement que le Fonds contribue à financer.
L'article 8 précise que les biens et l'argent du bureau, qu'ils soient immobiliers ou mobiliers, sont exonérés des impôts directs et indirects ainsi que des droits de douane et des paiements dus à l'importation et à l'exportation, en plus du droit de réexporter tout matériel qui n'a pas été utilisés sans payer de droits.
L'article 9 de cet accord donne au bureau le droit d'ouvrir des comptes bancaires étrangers dans la devise de son choix, y compris le dinar tunisien convertible, et lui permet également de récupérer les prêts non utilisés et les frais de fonctionnement avec intérêts en dollars américains, et le Fonds a le droit de les transférer de la Tunisie vers tout autre pays, toute devise sans aucune restriction ni condition, sous réserve des procédures bancaires normales.
L'article 10 de cet accord prévoit des privilèges et exonérations pour les salariés de bureau et distingue les salariés expatriés des salariés tunisiens et étrangers installés en Tunisie. Selon cet article, les salariés expatriés sont exonérés de tous droits de douane et redevances, et chacun d'eux bénéficie d'une voiture particulière pendant leur séjour en Tunisie, et ils sont exonérés de taxes lors de l'acquisition d'une voiture sur le marché local, en plus d'autres privilèges. Les privilèges susmentionnés ne concernent pas les employés du bureau ayant la nationalité tunisienne ou étrangère et résidant de façon permanente en Tunisie.
Que disent les détracteurs de l'accord ?
La convention sur la création d'un bureau du Fonds de développement qatari en Tunisie a soulevé de nombreuses critiques et n'est pas passé dans la facilité.
Le député Mabrouk Korchid avait indiqué que cet accord est formulé dans des termes qui ne conviennent pas à l'Etat et initié par le ministre du Développement et de la Coopération internationale sans être présenté au Conseil des ministres, permettant à la partie qatarie de bénéficier d'une protection spéciale injustifiée.
Il a souligné que la convention a été présentée en plénière de l'initiative du président de l'Assemblée des représentants du peuple, Rached Ghannouchi, malgré l'opposition de cinq membres du bureau de l'ARP. Cette même convention a été présentée l'année dernière et n'est pas passée au vote, plusieurs députés s'y étant opposés, dont lui-même.
Le secrétaire général adjoint et porte-parole de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), Sami Tahri, a aussi estimé que cet accord est taillé sur mesure pour cacher le blanchiment d'argent et asseoir la domination qatarie en Tunisie.
De même pour le PDL qui a bataillé depuis des semaines pour que le projet d'accord ne passe pas le jugeant colonialiste et martelant qu'il est une porte d'entrée pour la domination qatarie dans le pays.
Des observateurs relèvent aussi des violations manifestes, dont l'illégalité pour l'Etat de conclure un accord international avec un organisme étatique d'un autre Etat mais doit le conclure avec l'autre Etat lui-même. Si l'accord est quand même signé avec l'organisme on parle alors d'un accord technique et non d'une convention internationale, et donc non soumis au vote du Parlement.
Or, cette convention, signée avec un organisme public étranger, a été votée à l'ARP en tant que convention internationale et loi fondamentale, qui devrait être conclue avec l'Etat qatari, ce qui est une violation manifeste de la constitution.
En tant que convention internationale, ce que cet accord n'est pas, il ne sera effectif qu'après signature du président de la République et publication dans le Jort. Etant inconstitutionnelle, il est fort à parier que Kaïs Saïed ne ratifiera pas cette « loi »…