Dans les salons immaculés de la Maison-Blanche, une question domine désormais les conversations diplomatiques : jusqu'où un second mandat peut-il remodeler l'ordre international né en 1945 ? Depuis son retour à la présidence en janvier 2025, Donald Trump n'est plus l'apprenti politique de 2017. Il dirige une administration aguerrie, s'appuie sur un appareil judiciaire recomposé à son image et préside un mouvement politique désormais confondu avec sa propre figure. Mais il fait face à un monde sous tension : un front ukrainien enlisé, un Moyen-Orient en recomposition violente, une Asie traversée par des rivalités explosives. C'est dans cette fragilité globale que s'affirme, avec une cohérence nouvelle, la doctrine Trump. Elle ne s'exprime plus dans le tumulte des campagnes, mais au cœur du pouvoir exécutif. Sa philosophie repose sur un unilatéralisme assumé, où l'intérêt national prime sur toute forme de concertation, où la diplomatie devient une transaction et où l'imprévisibilité se transforme en méthode. Les alliés traditionnels — Union européenne, Otan, partenaires asiatiques — découvrent ainsi que la protection américaine s'accompagne désormais de conditions rigoureuses. Pendant ce temps, Moscou, Pékin et Téhéran sondent prudemment les failles d'un Occident divisé pour élargir leur marge de manœuvre. Trump ne se contente donc pas de réorienter des alliances: il bouscule les fondements mêmes de l'ordre international. Installé dans un second mandat renforcé par une administration loyale et une base politique consolidée, il promeut une vision où les règles collectives s'effacent devant la logique de puissance. Alliés comme adversaires cherchent à comprendre la nature réelle de cette inflexion : simple parenthèse ou amorce d'un basculement durable Pour éclairer cette dynamique, trois angles d'analyse s'imposent: • décrypter la doctrine America First telle qu'elle s'est institutionnalisée en 2025; • analyser comment Washington redéfinit son rôle dans les dossiers ukrainien, moyen-oriental et asiatique; • observer enfin la réaction du reste du monde, entre résistance, adaptation et quête d'autonomie stratégique. Le leadership en second mandat: l'imprévisibilité comme méthode Depuis janvier 2025, Donald Trump s'est réinstallé à la Maison-Blanche avec un style remodelé mais tout aussi tranchant. Son usage intensif de Truth Social et ses rassemblements gigantesques ne relèvent plus seulement de la communication politique : ils sont devenus les instruments d'une diplomatie instantanée, où décisions et revirements se publient en quelques mots. Lorsqu'il promet de régler certains conflits « en 24 heures », ce n'est pas une bravade, mais la mise en scène d'une stratégie où la surprise devient un levier de pression, incitant alliés comme adversaires à négocier selon ses termes. Cette posture déroute surtout les partenaires européens, qui y voient une remise en cause frontale du multilatéralisme. À l'inverse, plusieurs dirigeants autoritaires y trouvent un terrain propice, profitant des marges qu'ouvre ce leadership peu conventionnel. L'ancien magnat de l'immobilier incarne désormais un exécutif où la loyauté personnelle prime et où les normes institutionnelles sont continuellement bousculées. Sur le plan intérieur, Trump s'appuie sur des leviers consolidés dès son premier passage au pouvoir. Les nominations judiciaires effectuées entre 2017 et 2020 continuent de structurer en profondeur le champ institutionnel, limitant les contre-pouvoirs et réduisant la marge de manœuvre du Congrès comme de l'administration fédérale. À cette assise politique s'ajoute une ligne économique résolument protectionniste : les droits de douane imposés aux importations chinoises ont été maintenus, puis étendus au Canada et au Mexique, redessinant les chaînes d'approvisionnement au profit des entreprises américaines et renchérissant le commerce international classique. Ainsi se dessine le cœur du style Trump version 2025 : une combinaison d'imprévisibilité soigneusement calibrée et de continuités stratégiques, destinée à réaffirmer une Amérique dominante, moins contrainte par ses alliances et plus déterminée à imposer ses priorités, tant sur la scène intérieure que dans le jeu international. Politique étrangère: ruptures et réalignements Le retour de Donald Trump à la présidence a profondément reconfiguré le paysage géopolitique mondial. Son second mandat repose sur un unilatéralisme assumé et une diplomatie fondée sur l'échange direct — souvent abrupt — qui rompt avec les méthodes traditionnelles de Washington. Cette approche fait émerger de nouvelles lignes de fracture tout en redéfinissant les rapports de force entre grandes puissances. Ukraine: la recherche d'une sortie rapide, au prix du consensus occidental Sur le dossier ukrainien, la position américaine se fait plus prudente, voire hésitante. L'aide militaire n'est plus automatique: elle est désormais conditionnée à des négociations menées à huis clos, dont la rencontre d'Anchorage avec Vladimir Poutine, en août 2025, constitue l'exemple le plus révélateur. L'idée d'un compromis reconnaissant de facto certains gains territoriaux russes circule dans les cercles diplomatiques. Pour Trump, il s'agit d'en finir avec une guerre coûteuse ; pour les alliés européens, ce glissement remet en cause un principe fondamental de l'ordre international : l'intangibilité des frontières. Chine: l'escalade commerciale comme outil géopolitique Parallèlement, la confrontation économique avec la Chine s'intensifie. Les tarifs douaniers de 10 % sont réactivés et étendus au Canada et au Mexique. Derrière cette offensive commerciale se dessine un objectif stratégique explicite: affaiblir l'axe Pékin-Moscou, perçu comme la principale menace à la primauté américaine. Les déclarations annonçant la « mort des BRICS » illustrent cette volonté de fracturer le camp des puissances émergentes et de briser la dynamique de rassemblement anti-occidental. Moyen-Orient: soutien sans réserve à Israël et pression maximale sur l'Iran Au Moyen-Orient, la politique américaine se structure autour d'un double axe: un soutien inconditionnel à Israël et une pression croissante sur l'Iran. La nomination d'un ambassadeur ouvertement pro-israélien, ainsi que les frappes ciblées contre des installations nucléaires iraniennes en juin 2025, ont ravivé les tensions régionales. Washington assume cette fermeté, estimant qu'elle freine l'expansion de l'influence iranienne, même si la région s'enfonce dans un climat d'incertitude et de crispations renouvelées. Amériques: hégémonie réaffirmée et tension maximale avec Caracas En Amérique latine, la priorité affichée reste la lutte contre la migration. Elle s'accompagne toutefois d'une confrontation directe avec le Venezuela. Trump menace Caracas de sanctions « incalculables » en cas de refus de reprendre les migrants et prisonniers que Washington lui attribue. Dans le même temps, des opérations clandestines sont autorisées et une présence militaire d'une ampleur inédite depuis plusieurs décennies est déployée dans les Caraïbes : navires de guerre, bombardiers stratégiques, avions de combat et forces spéciales. Officiellement dirigée contre le narcotrafic, cette démonstration de force laisse entrevoir une volonté de fragiliser durablement le régime Maduro. Elle exacerbe les tensions avec l'ensemble des pays de la région, déjà confrontés à des crises sociales et économiques profondes. Asie du Nord-Est: un statu quo négocié et instable Avec la Corée du Nord, la diplomatie transactionnelle de Trump atteint son expression la plus claire. Les discussions engagées en 2025 débouchent sur un accord tacite : Pyongyang limite ses essais de missiles, Washington assouplit certaines sanctions. Ce compromis entretient un équilibre précaire, où chaque partie teste régulièrement les limites de l'autre sans franchir le seuil du conflit ouvert. Réactions internationales: entre résistance et adaptation Le second mandat de Donald Trump provoque une onde de choc mondiale. Ses décisions bousculent les alliances traditionnelles et obligent partenaires comme rivaux à revoir leurs priorités. Alliés: entre frustration et quête d'autonomie Au sein de l'Union européenne, de l'Otan et des alliés asiatiques, l'irritation est manifeste. Le ton jugé méprisant envers le multilatéralisme, combiné aux pressions continues pour augmenter les dépenses militaires, nourrit un sentiment croissant de défiance, particulièrement en Allemagne et en France. Cette rupture agit cependant comme un catalyseur: l'Europe accroît ses budgets de défense, relance les projets industriels communs et progresse — parfois à contrecœur — vers une autonomie stratégique longtemps débattue. En Asie, le Japon et la Corée du Sud renforcent également leur coopération militaire, conscients que la garantie américaine n'est plus acquise. Adversaires: opportunisme prudent Face à cette fragilité occidentale, les adversaires des Etats-Unis manœuvrent avec prudence mais constance. Russie, Chine et Iran profitent des tensions transatlantiques pour étendre leur influence, que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient ou en Asie centrale. L'axe « Téhéran-Moscou-Pyongyang » se consolide, sans toutefois chercher l'affrontement direct avec Washington. Leur stratégie repose sur l'usure et la provocation contrôlée : les livraisons d'armement nord-coréen à la Russie en constituent l'illustration la plus visible. Chacun teste les limites américaines tout en évitant l'irréparable. Un médiateur contesté Dans le même temps, Trump tente de redorer son image internationale en endossant le rôle de médiateur, notamment dans le dossier israélo-palestinien. La déclaration de paix pour Gaza, annoncée en octobre 2025, s'inscrit dans cette démarche et alimente ses ambitions de reconnaissance internationale, y compris une candidature au Prix Nobel de la paix. Si l'initiative est accueillie favorablement par Israël et plusieurs capitales du Golfe, elle est vivement critiquée par l'Union européenne et l'ONU, qui dénoncent son caractère déséquilibré et l'absence d'un cadre politique durable. Bilan et perspectives: Trump, un phénomène géopolitique durable? En 2025, Donald Trump incarne plus qu'un simple retour sur la scène politique américaine. Il symbolise une diplomatie de rupture désormais solidement installée, où pragmatisme et unilatéralisme redessinent sans ménagement les normes internationales. Son style, oscillant entre transaction et provocation, a durablement déconstruit l'ordre multilatéral, ébranlé les alliances historiques et remodelé les rapports de force mondiaux. La question demeure : cette transformation constitue-t-elle un simple interlude porté par une personnalité hors norme, ou marque-t-elle l'amorce d'un cycle géopolitique plus durable ? Rien n'indique que le style Trump disparaîtra avec lui. L'affirmation unilatérale des souverainetés nationales, la marginalisation du multilatéralisme et la centralité de la puissance brute séduisent déjà d'autres dirigeants, désireux d'imposer une vision plus transactionnelle des relations internationales. Le défi du rééquilibrage géopolitique Dans un monde fragilisé par les confrontations et les incertitudes, le style Trump — mêlant cynisme calculé et audace revendiquée — pose le défi d'un rééquilibrage géopolitique dont les contours restent à définir. Son second mandat apparaît ainsi moins comme une parenthèse que comme le creuset d'une transformation durable des relations internationales. Projections: le scénario de la continuité Pour 2026, la continuité apparaît comme le scénario le plus plausible. L'administration Trump cherchera à imposer une fin négociée à la guerre en Ukraine, mais selon des modalités pleinement alignées sur ses priorités. Parallèlement, la pression sur la Chine restera soutenue, qu'il s'agisse d'entraver son influence économique ou de contenir son expansion militaire. Les Etats-Unis entendent ainsi demeurer l'arbitre central des crises internationales. Cette dynamique dépasse largement les capitales occidentales. Chine, Russie et Iran ajustent leurs stratégies en fonction du rythme imposé par Washington. Les puissances émergentes — Inde, Brésil, Mexique, Turquie — observent ces recompositions avec prudence, cherchant à préserver leurs marges de manœuvre au sein d'un environnement géopolitique toujours plus volatil. Chaque geste américain contribue ainsi à remodeler l'équilibre mondial. Acteurs régionaux et grandes puissances adaptent continuellement leur posture face à un ordre international en mutation rapide. L'amorce d'un nouveau cycle Loin d'être un simple épisode lié à un dirigeant atypique, le trumpisme pourrait bien annoncer une ère où la négociation brute, la rivalité de puissances et le bilatéralisme assumé s'affirment au détriment des grands cadres collectifs hérités du XXe siècle. Dans un monde traversé par les conflits, l'incertitude et la compétition stratégique, cette diplomatie nouvelle — mélange d'audace, de pragmatisme et de cynisme — ouvre une phase de transition dont l'issue reste indéterminée. Le second mandat de Trump apparaît ainsi moins comme une parenthèse que comme l'un des laboratoires où se dessine, peut-être, la prochaine configuration du système international.. Elyes Ghariani