Le code électoral interdit strictement de remettre en doute le déroulement d'un scrutin. Les Tunisiens ont cependant balayé d'un revers cette loi et se sont donné à cœur joie, mercredi 27 juillet 2022, en se moquant de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Ces moqueries viennent suite aux chiffres donnés par l'Isie mardi 26 juillet en fin de soirée. Dès leur publication, on a commencé par relever les incohérences. Dans son rapport préliminaire publié mardi, l'Isie annonce que le nombre d'électeurs final est de 2,830 millions représentant un taux de participation de 30,5%. Or, la même Isie a annoncé 24 heures plus tôt que le nombre d'électeurs à 22 heures était de 2,458 millions représentant 27,54%. Sachant que les bureaux de vote ferment à 22 heures, il n'y a techniquement aucune possibilité pour que le nombre d'électeurs augmente, ne serait-ce que d'une voix !
Ce n'est qu'après examen minutieux des chiffres, mercredi matin, que l'on a pu découvrir de véritables énormités qui jettent le soupçon sur une grotesque manipulation des résultats du référendum. On a ainsi remarqué des écarts entre les chiffres donnés par les instances régionales (Irie) et les chiffres relayés par la centrale. Parfois, les chiffres des Irie sont inférieurs à ceux de l'Isie et parfois c'est l'inverse. A lire également Référendum : de gros écarts entre les chiffres régionaux et le résultat officiel global de l'ISIE La polémique a commencé à grossir en milieu de matinée, poussant l'Isie à retirer le tableau des résultats de sa page Facebook puis de son site web. Trop tard, les internautes et les médias ont déjà téléchargé le document et ont pointé les circonscriptions où il y a des écarts. Elles sont toutes concernées, sans exception aucune ! En fin de matinée, mercredi, l'Isie a publié un communiqué pour admettre que des erreurs se sont glissées dans ses documents et qu'elle a publié un document non mis à jour. Elle rappelle, dans la foulée, que les chiffres présentés sont préliminaires et que les chiffres définitifs officiels seront publiés ultérieurement. Au passage, l'instance nie catégoriquement toute fraude et assure que ses chiffres sont authentiques. Quels chiffres d'abord ? Personne ne sait encore si l'on doit prendre en considération les chiffres des Irie ou ceux de l'Isie.
L'Isie a beau admettre des erreurs liées à un problème d'actualisation de fichier, l'argument parait peu crédible puisqu'il ne tient pas la route. C'est la ville de Tozeur qui fait tomber en éclats l'argument de l'Isie, puisqu'on constate, dans cette ville, un nombre d'électeurs supérieur au nombre d'inscrits ! Même s'il y a erreur de mise à jour, le nombre d'inscrits doit être systématiquement supérieur au nombre d'électeurs. Pour rappel, le nombre d'inscrits à Tozeur est de 85.035 personnes. L'Irie a indiqué qu'il y a eu 28.878 électeurs, alors que l'Isie a indiqué qu'il y en a eu 105.515. Tozeur représente un autre problème et il est relatif au nombre de ses habitants de l'ordre de 115.675 citoyens, d'après les chiffres officiels de l'Institut national de la Statistique (INS). Les ratios ne tiennent tout simplement pas la route ! A lire également Au moins pour Tozeur, l'argument de l'erreur de l'Isie ne tient pas la route
Toutes ces incohérences ont poussé les internautes à se moquer de l'Isie et de ses chiffres. Plus sérieux, certains citoyens et certaines ONG appellent, depuis ce matin, à un recomptage des voix par des organismes indépendants n'appartenant pas à l'Isie. On rappelle dans la foulée que le jour du scrutin a été caractérisé par plusieurs dépassements. Le plus spectaculaire est, sans conteste, celui du président de la République, initiateur du référendum, qui a violé le silence électoral. Citoyens ONG, partis et même la Haica (gendarme de l'audiovisuel) ont crié au scandale. Après plus de 24 heures, l'Isie a réagi mollement en indiquant que les propos du président violent, certes, la loi, mais n'ont absolument aucune incidence sur le déroulement du scrutin. CQFD. A lire également Mansri : Saïed a violé le silence électoral, mais ça n'a pas eu d'incidence sur les résultats ! Autres caractéristiques de ce jour de scrutin, il n'y avait pas d'observateurs internationaux (à l'exception de la Ligue arabe), les observateurs nationaux étaient en nombre très limité de telle sorte que l'écrasante majorité des bureaux de vote n'enregistrait la présence que des membres de l'Isie eux-mêmes. Il n'y avait, dans ces bureaux, ni de représentants de partis, ni d'ONG, ni de médias. Enfin, on enregistre aussi le harcèlement subi par plusieurs journalistes tunisiens et étrangers. Certains ont été empêchés par les agents de l'Isie de faire leur travail, d'autres ont subi les affres des forces de l'ordre qui les ont fouillés et ont effacé les photos qu'ils ont prises.
Tout cela jette un fort discrédit sur une instance qui ne cesse de défrayer la chronique depuis la nomination de ses nouveaux membres. Le fait que ses membres aient été désignés par le président de la République, les passes d'armes entre le président Farouk Bouasker et le membre élu Sami Ben Slama (interdit d'accès à la salle des opérations le jour du scrutin) ont donné une image d'une Isie composée d'opportunistes à la solde du pouvoir, plutôt que de personnes indépendantes dévouées à leur mission. Avec ce véritable scandale des soi-disant erreurs des chiffres, ce n'est plus l'Isie seulement qui est discréditée, c'est tout le processus référendaire et ses résultats qui sont remis en doute. Peut-on, dès lors, parler de fraudes, de falsification des résultats ou de bourrage des urnes ? Ce serait aller vite en besogne. Il faut un recours officiel et seule une instance judiciaire a la latitude de prononcer de telles graves accusations. Le problème est que le recours en question n'est possible que pour ceux qui se sont inscrits en qualité de membres de la campagne. Or, l'écrasante majorité de ces membres, figurent parmi les adeptes du « oui ». Le « oui » qui l'a emporté avec un score soviétique de 94,6%. En d'autres termes, pour rester dans le concret, les mises en doute des chiffres de l'Isie ne sauraient dépasser les réseaux sociaux et quelques médias qui osent encore défier le régime de Kaïs Saïed.
Raouf Ben Hédi A lire également Mourakiboun : les erreurs de calcul de l'Isie sont impardonnables Les partis du boycott du référendum accusent l'Isie de fraude Doit-on maintenir l'Isie ? Ennahdha dénonce la violation du silence électoral par le chef de l'Etat Silence électoral : la Haica relève l'infraction du président de la République Kaïs Saïed viole le silence électoral, qu'en dit la loi ? Des journalistes étrangers interdits de couvrir le référendum dans un bureau de vote