Légalement parlant, la commission de conciliation pénale a achevé ses travaux hier. Si elle veut poursuivre sa mission, le président de la République doit publier un nouveau décret. Il y a six mois, jour pour jour, le 11 novembre 2022, la présidence de la République nomme, via le décret 2022-812, les membres et le rapporteur de la commission pénale. Cette commission est supposée récupérer quelque 13,5 milliards de dinars qu'auraient spolié quelque 460 hommes d'affaires corrompus. D'après le décret 2022-13, daté du 20 mars 2022, les membres de la commission sont nommés pour une période de six mois, renouvelable une fois. Les principales dispositions de ce décret et le travail de cette commission sont consultables sur ce lien. Le jour J est arrivé, nous sommes le 11 mai et cela fait exactement six mois que les membres ont été nommés. Théoriquement, leur mandat est arrivé à terme, hier, et s'ils veulent continuer leur travail, le président de la République doit publier un nouveau décret pour prolonger leur mandat de six derniers mois. Qu'a fait cette commission ? Rien de concret. A-t-elle récupéré les 13500 milliards ou ne serait-ce qu'une partie de ce montant ? Non plus.
À vrai dire, ce que le président de la République demandait à cette commission était impossible. Business News fut l'un des tous premiers médias à dire que Kaïs Saïed ne verra jamais les 13,5 milliards dont il a parlé la première fois le 28 juillet 2021. L'échec de cette commission était plus que prévisible et nous n'étions pas les seuls à le dire publiquement. Les raisons sont nombreuses, à commencer par le montant lui-même. Il y a également la complexité des procédures comme l'a expliqué l'ancien juge et activiste Ahmed Souab, en janvier dernier. Le même Souab a fait une longue lecture critique de ce projet qu'il a publiée en avril 2022 dans nos colonnes. Le montant donné par Kaïs Saïed est puisé dans le rapport élaboré en 2011 d'une manière rapide et approximative (le fameux rapport de Abdelfattah Amor) et a pris son contenu pour de l'argent comptant. Le chef de l'Etat n'a pas tenu compte de la réalité du terrain, de l'innocence de certains suspects cités dans le rapport, de la résolution de plusieurs dossiers les douze dernières années, ni de la faillite de plusieurs entreprises ou du décès de plusieurs personnes durant cette période. Mais outre ces raisons objectives, Kaïs Saïed a saboté, lui-même le travail de sa propre commission.
En dates, le président a parlé de son projet en juillet 2021, trois jours après son putsch. Il a, cependant, mis huit mois pour publier le décret instituant officiellement la commission de réconciliation pénale, précisément le 20 mars 2022. Il a fallu, ensuite, attendre huit autres mois, le 11 novembre 2022, pour désigner les membres de cette commission. Le manège n'est pas fini pour autant. Il a fallu attendre le 7 décembre pour que le président de la République reçoive les membres qu'il a nommés pour la cérémonie de prestation de serment au palais de Carthage. Théoriquement, si l'on suit le décret à la lettre, le règlement intérieur devait être prêt dans les quinze jours, soit le 22 décembre 2022. Il n'a été prêt que le 17 mars 2023. Fin du manège ? Loin de là. En janvier 2023, le président de la République décide de limoger la rapporteuse de la commission Monia Jouini pour la remplacer par Hayet Larbi. Un mois plus tard, le 21 février, Kaïs Saïed reçoit Makram Ben Mna, président de la commission qui lui fait part que la commission a commencé à recevoir des demandes de conciliation. Sauf que voilà, on ne parle plus de 13500 milliards, mais de quelques centaines seulement. Inutile de dire que même ce dernier chiffre ne correspond pas à la réalité du terrain. Le 16 mars, le président se déplace lui-même au siège de la commission pour réprimander ses membres et évoque de nouveau le montant de 13500 milliards. Suite à cette humiliation publique, filmée par les services de la présidence, la commission s'est décidée à commencer à travailler. Elle l'annonce le lendemain même dans un communiqué envoyé à la Tap. C'est bon, ils vont travailler et récupérer les milliards spoliés ? Non, le manège se poursuit. Le 21 mars, le président décide de limoger Makram Ben Mna laissant, du coup, la commission sans président. Et, à ce jour, il ne lui a toujours pas désigné de successeur. Parenthèse en passant, des rumeurs insistantes sur les réseaux sociaux affirment que M. Ben Mna, magistrat de son état, serait sans ressources financières depuis. Le temps s'écoule, cependant, et il ne tient pas compte des élucubrations présidentielles. Nous sommes le 11 mai 2023 et on arrive à l'échéance de six mois fixée par le président de la République. Force est de constater que la commission n'a ramené aucun dinar des 13,5 milliards de dinars annoncés par le chef de l'Etat et n'a même pas de président pour diriger ses travaux. Le président devrait publier un décret pour prolonger de six mois le mandat de ses membres et il a, déjà, 24 heures de retard. Kaïs Saïed a bien dit que l'on devait compter sur nous-mêmes et il a bien souligné son respect religieux des échéances. Avec l'histoire de la commission pénale, on a un tout petit échantillon de l'issue des projets du président.