Au sein des colonnes d'un quotidien de la place financé par nos impôts, un éditorialiste a récemment pris la plume pour commenter de manière indigne pour un journaliste le modeste taux de participation aux élections locales (11,84%). Dans des termes acerbes, il affirmait : « Voilà donc les grands censeurs de la démocratie qui se frottent les mains, en se félicitant de voir un taux de participation faible qui pourrait tourner en leur faveur politique et servir de ticket d'entrée aux chancelleries des puissances étrangères ». Son éditorial, publié dans un quotidien local le mardi 26 décembre 2023, laisse entendre une possible collusion avec des puissances étrangères de tous ceux qui, osant exprimer leur désaccord avec les modalités de mise en place de la deuxième chambre, se sont abstenus. Il est crucial de noter à cet égard que les deux scrutins législatifs précédents ont enregistré des taux de participation similaires, remarquablement bas, établissant même des records mondiaux d'abstention. Il se pourrait que notre éditorialiste sous-estime la profonde signification de l'abstention dans une démocratie. Notre démocratie est gravement malade.
L'accusation à peine voilée d'allégeance à des puissances étrangères envers ceux qui n'approuveraient pas le processus en cours n'est pas crédible, elle est abjecte, injuste et injurieuse. La Tunisie ne compte pas huit millions de citoyens vendus à l'étranger. Ceux qui ont fait le choix de ne pas se rendre aux urnes ce dimanche ne méritent pas d'être traités ainsi, ils sont tout aussi respectables que le million qui s'est déplacé pour aller voter.
Il est même plausible que parmi les abstentionnistes, des centaines de milliers aient voté pour le Président en 2019, en s'abstenant ils ont simplement manifesté ainsi leur désaccord avec certaines orientations, ce qui ne constitue en aucun cas une trahison. Ces nuances semblent échapper à notre éditorialiste.
Au-delà de ces constats évidents, se pose la question cruciale du désintérêt des Tunisiens pour le processus électoral. Depuis plus de deux ans, depuis le 25 juillet, la vie politique semble réduite à des monologues, n'encourage pas l'engagement citoyen. Le dialogue politique se limite à des déclarations tonitruantes qui glissent rapidement vers des échanges empreints d'insultes et d'accusations graves. Les échanges d'idées se réduisent à des accusations de traitrise. La moindre expression de réserves sur un choix, est perçue comme une hostilité envers les choix du peuple. La construction d'une démocratie ne peut reposer sur de telles bases.
Il est indéniable que cet éditorialiste a la capacité de rédiger des articles qui vont à l'encontre de ses convictions. C'est en cela qu'il n'est pas crédible. Ceux qui ont pris le temps de parcourir sa diatribe du 26 contre les abstentionnistes savent que ces écrits ne sont dictés que par des considérations purement alimentaires et certainement pas par des convictions. Il est même envisageable qu'il puisse rédiger un jour un éditorial louant les adversaires du processus actuel.
Nul n'a le droit d'insulter les citoyens, pas même un thuriféraire, auto-proclamé défenseur officiel du pouvoir en place. La pensée unique est le poison des démocraties. Il est grand temps pour le bien de tous les Tunisiens d'offrir les conditions idéales d'un dialogue contradictoire mais respectueux et civique. C'est ainsi qu'ils se déplaceront et feront la queue pour voter, car ils seront persuadés que chaque voix sera entendue, la leur aussi. *Ancien ministre de la Santé