S'il est un domaine qui a profité d'une liberté d'action sans précédent après la révolution c'est bien celui des sondages. Les instituts de sondages tels que Sigma ou Emrhod nous ont habitués à émettre les résultats de sondages politiques qu'ils émettent mensuellement. Certains partis excluent systématiquement ces chiffres, d'autres se basent dessus pour élaborer des stratégies. En réalité, ce ne sont pas les bons chiffres que l'on analyse. Les sondages sont devenus un rendez-vous mensuel pour que chaque parti mesure sa côte de popularité. Cependant, ces sondages ne font pas l'unanimité car certains partis, à l'instar du CPR, remettent systématiquement en cause les chiffres obtenus et parcourent les plateaux médias pour dire que ce sont des sondages achetés et employés au service de certains partis. Toutefois, ces partis là ne présentent aucune alternative et se contentent de mettre en doute l'intégrité des instituts classiques. On se rappellera dans ce contexte de la déclaration de l'ancien chargé de communication de la présidence de la République, M. Hnid, qui avait dit, sans broncher, que la présidence faisait ses sondages par ses propres moyens dans les cafés populaires. Les chiffres obtenus placent Moncef Marzouki en tête des intentions de vote. Naturellement. Depuis l'avènement du parti Nidaa Tounes, ce dernier et le parti Ennahdha se partagent le plus haut pourcentage d'intentions de vote. Selon le sondage Emrhod de juin 2014, Nidaa Tounes aurait 17,1% d'intentions de vote contre 14% pour Ennahdha. A la troisième place on trouve Ettakatol avec 4,7%. Même son de cloche chez Sigma dont le baromètre politique de Juin 2014 accorde 41,3% à Nidaa Tounes et 24% à Ennahdha, le Front populaire est troisième avec 6,2%. A l'aune de ces chiffres on aurait tendance à dire que les deux plus grands partis en Tunisie sont Nidaa Tounes et Ennahdha. Mais on aurait tort de voir ces chiffres de la sorte. Comme le dit un des cadres du parti Nidaa Tounes : "Les abstentionnistes et les indécis représentent les plus grands partis de Tunisie actuellement, s'ils basculent d'un coté ou de l'autre, ils peuvent faire la différence". En effet, cette affirmation est confortée par les chiffres. Les abstentionnistes et les indécis représentent plus de la moitié des électeurs potentiels. Si leur choix est fixé sur une personnalité ou sur un parti, ils peuvent, tout simplement, le faire gagner aux élections. Toutefois, la mobilisation reste extrêmement faible parmi ceux-là. On peut le mesurer à l'échec total de l'opération d'inscription des électeurs actuellement entreprise par l'ISIE. L'opération d'inscription devait tenter de faire s'inscrire 4 millions de personnes en âge de voter. Seulement, à huit jours de la fin de l'opération d'inscription, il n'y a que 239.599 personnes qui se sont inscrites au 13 juillet 2014. Paradoxalement, le taux d'abstention aux premières élections démocratiques du pays, en octobre 2011, avoisinait les 50%. Ceci démontre que le nombre d'indécis et d'abstentionnistes était déjà important à l'époque ce qui montre un certain désintérêt d'une large frange de Tunisiens pour la chose politique. Lors des précédentes élections, on expliquait ceci par le fait que le scrutin a été mal expliqué d'une part, et par l'ignorance d'un certain nombre de personnes qui n'étaient pas habituées à la participation par le vote. Aujourd'hui, le taux d'abstention et d'indécision est tel que l'on tente de l'expliquer par une certaine lassitude des Tunisiens envers une classe politique qui a montré, à plusieurs reprises, son impuissance d'un côté, et sa déconnexion de la sphère réelle de Tunisiens d'un autre côté. Par ailleurs, la question de l'influence des sondages sur l'opinion publique a été largement débattue sous d'autres cieux. On sait, par exemple, que les sondages peuvent avoir une influence négative sur les intentions de vote. En effet, les indécis et les abstentionnistes, bombardés comme tout le monde, de sondages divers, peuvent avoir l'impression que les jeux sont faits. Par conséquent, les sondages peuvent les conforter dans la conviction selon laquelle ils ne pourront rien changer de toutes façons. L'effet est encore plus prononcé quand les différents sondages évoquent, à peu de chose près, les mêmes résultats. L'influence s'exprime également pour ceux qui occupent les dernières places de certains classements. Ceux-ci auront la conviction qu'ils ne pourront pas gagner, et par conséquent, n'iront pas voter. D'un autre côté, les résultats d'un sondage sont liés au timing de celui-ci. En effet, un sondage effectué sur la côte de popularité de certains dirigeants en pleine crise financière par exemple n'aura pas la même signification ni les mêmes résultats en comparaison à une autre période. C'est d'ailleurs pour minimiser cet effet que les instituts de sondage tunisiens ont opté pour un baromètre mensuel. Autre point important, les instituts de sondage ne possèdent pas de cadre légal régulant leur activité. C'est un argument qui est souvent utilisé par les détracteurs de ces instituts. Ils omettent volontairement le fait que les instituts de sondage sont les premiers à demander à être consultés pour la conception d'un cadre légal qui permettra de séparer le bon grain de l'ivraie. Il faut dire que l'activité de ces instituts aiguise les appétits et l'on voit régulièrement de nouveaux sondages émis par des instituts dont on ne connaissait pas l'existence. Au-delà des critiques que l'on peut formuler concernant les instituts de sondage, on ne peut occulter les chiffres qu'ils publient. Ces chiffres requièrent une certaine interprétation et tout un chacun peut leur donner un sens. Toutefois, les hommes politiques tunisiens doivent s'alarmer du taux d'abstention qui s'annonce pour les prochaines élections. Les querelles actuelles entre certains partis et l'ISIE concernant le nombre d'inscrits ne contribueront pas à convaincre les sceptiques d'aller aux urnes. Toutefois, s'ils décident de le faire, leur nombre et leur puissance peuvent renverser la donne actuelle.