Le mandat du gouverneur actuel de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abbassi, expire le 17 février 2024 selon l'article 46 de la loi n°2016-35 du 25 avril 2016 portant fixation du statut de la BCT qui stipule que : « Le gouverneur de la banque centrale est nommé conformément aux dispositions de l'article 78 de la constitution pour un mandat de six ans renouvelable une seule fois. Il est choisi parmi les personnalités reconnues pour leur compétence dans les domaines économique, monétaire et financier. Il peut être mis fin aux fonctions du gouverneur avant le terme du mandat mentionné au premier alinéa du présent article, conformément aux dispositions de l'article 78 de la constitution. »
L'article 78 cité plus haut se réfère à la Constitution de 2014 qui stipule que : « Le Président de la République procède, par voie de décrets présidentiels : à la nomination du Gouverneur de la Banque centrale sur proposition du Chef du Gouvernement et après approbation de la majorité absolue des membres de l'Assemblée des représentants du peuple. Il est mis fin à ses fonctions selon les mêmes modalités ou à la demande du tiers des membres de l'Assemblée des représentants du peuple et l'approbation de la majorité absolue de ses membres. »
La Constitution de 2014 a été remplacée par celle de 2022 qui n'inclut pas de dispositions règlementant la nomination et le renvoi du gouverneur. Malheureusement, ce vide juridique n'a pas été comblé depuis. Dans l'état actuel de vide juridique, il est fort probable que le président Kaïs Saïd sera bientôt amené à décider par décrét pour renouveler le mandat de Marouane El Abbassi ou pour nommer un nouveau gouverneur.
À notre avis, le Président doit au moins respecter l'esprit de l'article 78 de la Constitution de 2014 et soumettre son choix à l'approbation de la majorité absolue des membres de l'Assemblée des représentants du peuple. Par la même occasion, le Président doit proposer un amendement à l'article 46 de loi n°2016-35 régissant le gouverneur et inclure des dispositions conformes aux meilleures pratiques internationales qui stipulent que des critères doivent être établis pour la nomination et le renvoi du gouverneur et des membres du Conseil.
Quant à la teneur de la décision, nous pensons que la Tunisie gagnerait à signaler aux investisseurs et bailleurs de fonds, domestiques et étrangers, son attachement à la stabilité et à l'indépendance des institutions, en particulier la BCT, et à la mise en place des réformes nécessaires. La BCT a fait l'objet d'une série d'attaques et d'interrogations à propos de son indépendance[1]. Ce n'est pas nouveau comme le montre l'historique de la gouvernance de la BCT depuis sa creation en 1958. La BCT avait été caractérisée par une grande stabilité depuis sa création jusqu'aux années 1980 avec seulement trois gouverneurs pendant 22 ans, dont Nouira qui était resté en fonction durant plus de douze ans. Aucun gouverneur n'avait été relevé de ses fonctions tout au long de cette période.
Malheureusement, ça n'a pas été le cas depuis 1980. Sur les dix dernières nominations, et si exclut le Gouverneur actuel Marouane El Abbasi, Ismail Khélil, nommé Ministre des Affaires Etrangères, et Mohamed El Béji Hamda, parti à la retraite, sept gouverneurs avaient été relevés de leur fonction avant la fin de leur premier mandat et ce pour des considérations purement politiques. Cette instabilité avait caractérisé aussi bien la décennie 1980 (sur les quatre gouverneurs nommés, trois avaient été remerciés avant terme, dont Abdelaziz Mathari qui n'était resté que deux mois) et la période post révolution (sur les quatre gouverneurs nommés, si exclut le gouverneur actuel, trois avaient été remerciés avant terme). Par contre, la décennie 1990 avait été une période de stabilité avec Mohamed El Béji Hamda à la tête de la BCT durant plus de dix ans.
Après le limogeage du ministre de l'Economie et de la Planification, Samir Saïed, l'équipe économique a plus que jamais besoin de stabilité et de compétence. Omar El Oudi a dressé le bilan[2] du mandat de Marouane El Abbasi. Nous partageons ses analyses et conclusions. Nous pensons que Marouane El Abbassi s'en est bien sorti tout au long de la période difficile caractérisant son mandat. Le choix du prochain gouverneur reste bien sûr la prérogative du Président. La BCT a fait l'objet récemment de multiples attaques, y compris par le Président lui-même lors de sa visite inopinée au siège de la BCT, conduite pour la plupart en l'absence du gouverneur. Ces attaques risquent de dissuader les candidats qualifiés par la loi comme personnalités reconnues pour leur compétence dans les domaines économique, monétaire et financier, y compris le gouverneur actuel. La Tunisie a besoin de compétences qui s'engagent à préserver la Banque centrale de Tunisie en tant qu'institution d'Etat indépendante et crédible.
[1] L'indépendance de la Banque centrale de Tunisie – un faux débat [2] Fin de mandat à la tête de la BCT : Quel bilan pour Marouane EL ABASSI ?