Deux événements importants ont émaillé la semaine, l'un à caractère national patriotique et l'autre à caractère religieux. Il s'agit de la fête des martyrs et de l'Aid El Fitr. La célébration de ces deux événements cette année a été non conventionnelle, à l'image du président Kaïs Saïed. Le mardi 9 avril dernier, comme à l'accoutumer, le président Kaïs Saïed a présidé les festivités officielles à l'occasion du 68ème anniversaire des événements du 9 avril 1938. Comme le veut l'usage et la tradition, il a déposé une gerbe de fleurs et a récité la Fatiha à la mémoire des martyrs. Seulement, contrairement à la coutume et au protocole de l'Etat, le président s'est déplacé cette année au mausolée des martyrs à Sijoumi seul et personne parmi les hauts cadres de l'Etat n'était à sa rencontre. Les absences les plus remarquées sont, bien entendu, celles du chef du gouvernement Ahmed Hachani et du président du parlement Brahim Bouderbala.
L'absence de la deuxième et de la troisième personnalité de l'Etat n'a pas manqué d'attirer l'attention et de susciter les interrogations et les hypothèses des plus plausibles aux plus saugrenues, en l'absence, comme d'habitude, de toute information officielle.
Pour beaucoup, l'absence du chef du gouvernement de la célébration officielle de la fête des martyrs est probablement due à ses préférences beylicales et monarchiques, à son histoire familiale et à la fin tragique de son père. Par contre, les raisons de l'absence du président du parlement sont en rapport direct avec la tension qui caractérise les relations actuelles entre le président de la République et le président du parlement. Il est évident que depuis la réunion parlementaire censée adopter une loi contre la normalisation des relations avec l'Etat sioniste, le courant ne passe plus entre les deux hommes. Kaïs Saïed n'a pas apprécié que Bouderbala divulgue publiquement la teneur de sa discussion téléphonique avec lui. Depuis, les deux hommes ne se parlent plus et ne supportent plus, semble-t-il, de se retrouver dans le même endroit. Pourtant, il y a 68 ans, les revendications scandées, pour lesquelles des Tunisiens ont été assassinés, tués par balles, étaient en faveur de la formation d'un gouvernement national et de l'élection d'un parlement tunisien.
Quelques heures après, dans la foulée, il était d'usage que le président de la République adresse dans la soirée qui précède le jour de l'Aid, dans une déclaration télévisée brève et succincte, ses vœux pour ses concitoyens et pour l'ensemble des peuples musulmans. A l'occasion, il signe comme signe de charité musulmane, une amnistie en faveur de quelques prisonniers. Mais cette année, le président Kaïs Saïed a dérogé à cette règle. Il n'a ni adressé ses vœux au peuple tunisien, ni amnistié des prisonniers. Il s'est juste contenté d'échanger des vœux téléphoniques avec quelques présidents de la région arabe. Peut-être que les Tunisiens cette année ne méritaient pas ses vœux et que les prisonniers qui bondent les prisons ne méritent pas son indulgence.
En vérité, le non respect des usages, de l'étiquette et du protocole est le style particulier du président Kaïs Saïed. C'est ce qui le rend différent et particulier. Son comportement non normatif arrive à marquer les esprits et on s'attend à tout de sa part parce qu'il est différent. Cela lui donne une plus large marge de liberté. Le style Kaïs Saïed donc n'est ni une maladresse, ni une incompétence et encore moins une inadaptation de sa part à la rigueur protocolaire de l'Etat. Au contraire, c'est une attitude réfléchie pour avoir les coudées franches et se soustraire de toute remarque ou critique. Comme si le décret 117 ne suffisait pas ?