Tollé général après l'annonce de la révision haussière des tarifs des consultations médicales. Après avoir été dans le viseur de l'administration fiscale en 2023 et 2024, les médecins se trouvent aujourd'hui dans le viseur des citoyens ordinaires qui leur reprochent des honoraires onéreux, bien au-dessus de leurs moyens. La question de savoir si nos médecins sont trop, correctement ou mal payés ne trouvera jamais de réponse tant elle est subjective. Du côté des intéressés, on estime qu'ils sont payés correctement et, si la majorité d'entre eux mène la belle vie, c'est grâce au fruit de leur labeur obtenu après des décennies de sacrifices sur les bancs de l'école. « J'ai sacrifié toute ma jeunesse pour atteindre ce niveau de richesse, nous dit un médecin spécialiste dont le cabinet ne désemplit pas. Pendant que je bûchais quinze heures par jour à la faculté de médecine, les autres étaient dans les restaurants et les boîtes de nuit. Ce sont les plus belles années de notre vie qu'on a sacrifiées pour nos études et sans lesquelles nous ne serions jamais ce que nous sommes ». Le point de vue tient la route, mais demeure inaudible dans un pays où plus de 50 % de la population touche moins de dix mille dinars par an et où le SMIG est de 417 dinars.
La hausse des honoraires en 2025 Avant la révision de 2025, les honoraires variaient entre 35 dinars pour les généralistes et 70 dinars pour les psychiatres et neurologues. Les visites à domicile variaient entre 70 dinars pour les généralistes et 150 dinars pour les psychiatres et neurologues lors des jours fériés (Cliquer ici pour les détails des autres anciens honoraires). Désormais, pour 2025, les honoraires varient entre 40 dinars pour un généraliste et 85 dinars pour un psychiatre ou neurologue. Pour les visites à domicile, les prix varient entre 80 dinars pour un généraliste et 170 dinars pour un psychologue ou neurologue (Cliquer ici pour les détails des autres honoraires de 2025). Précisons que tous ces prix sont hors taxes. Sachant que les médecins n'ont pas révisé leurs honoraires depuis 2019 et que l'inflation a été de 7 % en 2024 et de 9,3 % en 2023 (et de deux chiffres pour plusieurs produits alimentaires), on ne peut pas dire techniquement que l'évolution tarifaire des médecins est injuste. Il y a carrément une perte de pouvoir d'achat puisque les augmentations sont bien inférieures à l'inflation observée ces cinq dernières années.
Des honoraires jugés exorbitants Si l'augmentation semble être justifiée, il n'en demeure pas moins que les tarifs sont considérés comme très onéreux par les citoyens. Un Tunisien témoigne sur sa page Facebook : « une consultation dure un quart d'heure. Il est anormal que l'on soit payé 170 dinars pour un quart d'heure de travail, dans un pays où le SMIG est de 400 dinars, rouspète un citoyen sur les réseaux sociaux. Cela revient à dire qu'une heure de travail d'un médecin équivaut à un mois de salaire d'un smigard. Ce n'est juste pas possible, nous ne sommes pas aux Etats-Unis, nous ne sommes pas dans un pays au libéralisme sauvage ! », dénonce-t-il.
Inadéquation avec le salaire moyen du Tunisien Pour répondre d'une manière objective, une comparaison avec les honoraires des médecins des autres pays s'impose. Le tarif minimum d'un généraliste est de 40 dinars HT, soit 9,59 % du SMIG. Le tarif maximum d'un psychologue (visite à domicile) est de 170 dinars HT, soit 40,67 % du SMIG. Au cabinet, la consultation varie entre 60 et 85 dinars. La corrélation avec le salaire moyen pourrait être plus proche de la réalité. Celui-ci est de 640 dinars en 2023, selon les données de l'Institut national de la Statistique. Corrélée au salaire moyen, la consultation d'un généraliste est de 6,25 %. Pour la consultation à domicile d'un psychiatre ou d'un neurologue (soit le tarif maximum), le pourcentage est de 26,56 % du salaire moyen en Tunisie.
La situation en France En France, les honoraires sont fixes et non adossés à une fourchette comme en Tunisie. Ceux d'un généraliste sont de 30 euros, alors qu'un psychiatre touche 55 €. Pour plusieurs catégories de spécialistes, les honoraires sont de 37 € seulement, soit légèrement supérieurs à ceux d'un généraliste. Corrélés au SMIG en France, de 1426 €, les honoraires d'un généraliste représentent seulement 2,1 %, contre 9,59 % en Tunisie. Ceux d'un psychiatre représentent 3,85 % seulement, soit trois fois moins qu'en Tunisie. Mieux, ou pire, l'assurance maladie en France est quasiment généralisée, alors que c'est loin d'être le cas en Tunisie. Corrélés au salaire moyen en France, de 2730 €, les honoraires d'un généraliste représentent à peine 1,09 % et 2,01 % pour un psychiatre.
Comparaison avec le Maroc Au Maroc, plus proche de nous culturellement, les honoraires d'un généraliste sont de 80 DH contre 190 DH pour un psychiatre ou neurologue. Corrélés au SMIG au Maroc, de 3046 DH, la consultation d'un généraliste représente 2,62 % à peine, soit presque comme en France et près de cinq fois moins qu'en Tunisie. La consultation d'un spécialiste représente pour sa part 6,23 % du SMIG. Corrélés au salaire moyen au Maroc, de 4193 DH, la consultation d'un généraliste représente 1,9 %, contre 6,25 % en Tunisie et 1,09 % en France. La consultation d'un psychiatre ou neurologue au Maroc représente 4,53 % du salaire moyen, contre 2,01 % en France et de 9,37 % au minimum en Tunisie.
Un fossé entre réalité économique et perception Comparativement à leurs homologues français et marocains, c'est clair au vu de ces chiffres : les médecins tunisiens gagnent jusqu'à vingt fois plus. Au minimum, ils gagnent cinq fois plus. Très rares sont les professions en Tunisie qui peuvent se targuer de tels écarts. Quand bien même les augmentations semblent très justifiées si on les corrèle à l'inflation, il n'en demeure pas moins que la tarification est très chère et sans aucune corrélation avec les salaires moyens en Tunisie.
Les justifications de l'Ordre des médecins Pour justifier cette augmentation et ces prix élevés, Nizar Ladhari, secrétaire général de l'Ordre des médecins de Tunisie, rappelle qu'il n'y a pas eu de révision depuis cinq ans, évoque l'inflation et brandit la menace de l'exode, lors d'une interview accordée hier à la Radio nationale. « Cette augmentation est intervenue cinq ans après la dernière, alors que tous les prix ont augmenté et que les médecins sont devenus incapables de gérer leurs charges. La plupart des patients sont couverts par des assurances et le système public existe et il est efficace. Les citoyens vont consulter dans le privé une ou deux fois par an, ils n'y vont pas quotidiennement et peuvent gérer cela (…) Nous avons peur de l'exode des médecins et avons mis en place une stratégie afin d'endiguer ce phénomène qui menace le système de santé du pays (…) ».
Une profession enviée malgré les controverses S'il est vrai que l'on a remarqué plusieurs départs de médecins à l'étranger ces dernières années, notamment pour la France qui souffre d'un grand déficit de médecins, il n'en demeure pas moins que ces nouveaux émigrés font de mauvais calculs. Les chiffres sont là pour prouver qu'un médecin exerçant en Tunisie gagne nettement mieux sa vie que son confrère français. Il n'est pas dit que ce sont les meilleurs qui partent. Ce sont plutôt les jeunes qui ont eu du mal à trouver une place et n'ont pas eu le souffle nécessaire pour entamer leur vie professionnelle et les incontournables sacrifices qui vont avec. « Ils pensent que l'herbe est plus verte qu'ailleurs et ils croyaient qu'ils allaient rouler sur l'or dès leur obtention du doctorat en médecine », réplique un médecin spécialiste quinquagénaire qui critique cette tendance à l'émigration de ses nouveaux confrères. Pour lui, l'augmentation est justifiée au vu de l'inflation et de l'absence de toute révision depuis cinq ans, mais il admet volontiers que les médecins tunisiens sont parmi les mieux lotis au monde au vu de leurs honoraires bien élevés.