Une nouvelle loi pourrait bientôt voir le jour et compliquer davantage le travail des banques. Désormais, les garanties exigées par les banques seront plafonnées et ce ne sont plus les banques qui évalueront les garanties présentées par les clients, mais des experts patentés. Zoom sur cette nouvelle proposition de loi actuellement devant la commission des finances de l'ARP. Jamais que ce soit avant ou après la révolution une proposition de loi n'a été traduite aussi rapidement devant une commission parlementaire. Déposée mardi 20 mai 2025 au bureau d'ordre de l'Assemblée des représentants du peuple, elle a été examinée jeudi 22 mai par le bureau du parlement et a été transmise illico presto devant la commission des finances. Derrière cette proposition de loi, un nom et ce n'est pas n'importe qui, c'est l'une des députées les plus zélées du régime de Kaïs Saïed, à savoir Fatma Mseddi. Et quand Mme Mseddi dépose, Brahim Bouderbala dispose. D'où la rapidité record dans la transmission de la proposition de loi 55/2025 destinée à plafonner les garanties bancaires et à désigner des experts indépendants pour l'évaluation des garanties présentées par les clients. Elle ambitionne de poser des garde-fous aux pratiques bancaires en matière de garanties sur les crédits, jugées excessives, opaques et discriminatoires. Il s'agit là d'un tournant législatif majeur pour les PME tunisiennes, souvent exclues du financement classique.
Une pratique bancaire qui exclut au lieu d'inclure En Tunisie, la question des garanties bancaires constitue l'un des principaux obstacles à l'accès au crédit, notamment pour les petites et moyennes entreprises. Lorsqu'un entrepreneur sollicite un prêt, il lui est souvent demandé de fournir des garanties dont la valeur excède largement le montant même de l'emprunt. Dans de nombreux cas, les exigences atteignent ou dépassent 150 % du capital demandé, sans compter les intérêts, les commissions et les autres frais annexes. Cette situation crée une inégalité flagrante entre les grands groupes, qui disposent naturellement d'actifs mobilisables, et les petits porteurs de projets, souvent contraints de renoncer à tout financement bancaire. Loin de favoriser l'inclusion financière, les pratiques actuelles renforcent une logique d'exclusion et maintiennent l'économie réelle dans une forme de marginalité. À cela s'ajoute une opacité quasi systématique dans l'évaluation des garanties, laissée à la discrétion des établissements prêteurs, sans base uniforme ni cadre de contrôle clair. Jusque-là, ce sont des « experts » parmi les salariés de la banque qui procèdent aux évaluations des biens. Plus maintenant avec la proposition 55/2025.
Une réponse législative attendue depuis longtemps La proposition de loi déposée au Parlement vise précisément à mettre fin à cette dérive. Elle ambitionne de rétablir un rapport de force plus équilibré entre les établissements financiers et les emprunteurs en plafonnant les garanties à 100 % du capital emprunté. Le texte exclut explicitement du calcul ce qui relève des intérêts et des charges annexes. Toute dérogation à ce plafond devra être justifiée, motivée, et fondée sur la nature même du prêt ou la situation particulière du bénéficiaire, avec des documents à l'appui. L'objectif est double : rétablir un minimum d'équité dans l'accès au crédit, mais aussi forcer les banques à jouer leur rôle de sélection basée sur le risque réel, et non plus seulement sur la valeur des actifs à saisir en cas de défaillance. Cela implique un changement de paradigme profond dans la culture bancaire tunisienne, encore largement dominée par des logiques de garantie matérielle, au détriment de l'analyse de projet.
Le rôle de la Banque centrale Le texte reconnaît néanmoins la nécessité d'une certaine souplesse et confie à la Banque centrale de Tunisie (BCT) un rôle de régulation active. Celle-ci pourra, via des circulaires, fixer des plafonds encore plus bas dans certains cas, en fonction de la nature du projet, de la durée du prêt ou du secteur d'activité. L'objectif assumé est de favoriser l'investissement dans des domaines jugés prioritaires ou stratégiques. La BCT sera également chargée du contrôle de l'application de cette loi par les banques et les établissements financiers. Elle devra émettre les textes d'application dans un délai de trois mois après la promulgation de la loi. Par ailleurs, toutes les informations relatives à l'évaluation des garanties devront être communiquées de manière formelle à l'emprunteur, avec précision des méthodes et des coûts.
Evaluation encadrée, sanctions prévues L'évaluation des garanties ne pourra plus se faire de manière arbitraire. Elle sera désormais confiée exclusivement à des experts assermentés auprès des tribunaux ou inscrits sur des listes agréées. Le coût de cette évaluation ne pourra en aucun cas dépasser 1 % de la valeur du prêt lorsque la garantie est immobilière. En cas de manquement, des sanctions sont prévues. Les établissements contrevenants s'exposent aux peines prévues par les articles 172 à 178 de la loi bancaire du 11 juillet 2016. De plus, l'emprunteur aura désormais le droit de saisir le juge pour contester la valeur des garanties exigées par sa banque ou demander leur révision à la baisse. Ce droit de recours constitue une avancée considérable dans un domaine longtemps dominé par l'unilatéralité bancaire.
Des effets attendus sur la dynamique économique L'entrée en vigueur de cette loi est prévue six mois après sa publication au Journal Officiel. Ce délai permettra aux banques de se préparer, mais aussi de revoir les accords de crédit en cours, notamment ceux non encore totalement mis en œuvre. Le texte impose ainsi une révision obligatoire des contrats existants non encore exécutés dans leur totalité. En clair, la nouvelle loi sera rétroactive. Pour les entreprises, notamment les plus vulnérables, cette loi pourrait représenter une véritable bouffée d'oxygène. En limitant les conditions de garantie, elle leur ouvre la possibilité d'accéder à des financements jusqu'ici inaccessibles. Elle envoie aussi un message clair : le crédit n'est pas un privilège réservé aux grands groupes, mais un outil de développement économique auquel chacun doit pouvoir prétendre, selon ses mérites et non selon la taille de son patrimoine.
Un encadrement salutaire, à condition de ne pas affaiblir le secteur bancaire
En plaçant un plafond légal sur les garanties exigibles, le texte entend corriger un déséquilibre structurel dans l'accès au crédit. Il répond à une vraie demande du tissu économique national, en particulier de la part des petites entreprises qui peinent à convaincre les banques malgré des projets viables. Mais pour être efficace, cette réforme devra éviter l'écueil de la stigmatisation. Car les banques tunisiennes, souvent diabolisées par les aficionados du régime, opèrent dans un climat incertain, entre instabilité réglementaire, pression politique croissante, et défiance d'une partie de l'opinion. Elles ont aussi, faut-il le rappeler, la responsabilité de protéger les dépôts et de maintenir la solvabilité du système. Il serait contre-productif qu'une réforme pensée pour faciliter l'inclusion financière se traduise par un resserrement du crédit, si les banques estiment ne plus pouvoir couvrir leurs risques. L'enjeu est donc de bâtir une nouvelle architecture contractuelle où les droits des emprunteurs soient renforcés, sans pour autant affaiblir les garanties d'un secteur bancaire déjà fragilisé par les tensions économiques et institutionnelles. L'équilibre sera difficile à atteindre, mais il est nécessaire.