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Ecole de la cruauté : l'élève est brisé par ses profs, achevé par l'Etat
Publié dans Business News le 24 - 06 - 2025

Ils sont rares, mais ils font des ravages. Ils humilient, discriminent, manipulent. Et pire encore : ils sont protégés. Derrière l'image sacrée de l'enseignant, quelques brebis galeuses détruisent des générations entières. Ni l'Etat ni les syndicats ne s'en émeuvent. Pire : ils les décorent, les promeuvent ou les couvrent. Enquête sur une impunité bien organisée.

Toumadher Allouche avait tout pour réussir. Première au niveau national à la fin du primaire, puis première régionale en 9e année, elle intègre le lycée pilote de Sfax avec l'espoir d'évoluer dans un environnement d'excellence. Ce fut un cauchemar.
Dans un témoignage glaçant publié le 23 juin 2025, la bachelière dévoile l'envers du décor : remarques blessantes, humiliations, favoritisme, notes arbitraires. Une pédagogie méprisante où les élèves sont triés comme du bétail, où seuls ceux qui prennent des cours particuliers sont épargnés. Elle écrit : « Vous m'avez volé ma confiance. Vous avez écrasé mes rêves et terni mes ambitions ».
Son texte, largement relayé sur les réseaux, n'est pas une vengeance. C'est un cri. Un appel à regarder en face la maltraitance institutionnalisée dans certains établissements d'élite.

Le souvenir intact d'un zéro absolu
Le cas de Toumadher résonne avec d'autres trajectoires brisées. Nizar Bahloul, aujourd'hui journaliste et directeur de Business Newws, se souvient d'un épisode identique vécu à l'adolescence. Passionné de musique, il fut anéanti par Amina Srarfi, alors professeure au collège El Omrane à Tunis.
Malgré son admiration pour l'artiste, il se voit infliger un triple zéro – oral, écrit, synthèse – qui enterre sa passion pour le solfège. Zéro pédagogique. Zéro bienveillance. Zéro transmission. L'échec d'une prof qui, au lieu d'éveiller l'amour de l'art, a découragé pour la vie.
Et pourtant… Amina Srarfi a été nommée, en août 2024, ministre de la Culture.

Nour Ammar, victime désignée d'un système en ruine
Décembre 2022, lycée pilote des arts d'El Omrane. Une jeune élève, Nour Ammar, talentueuse chanteuse, dénonce sur TikTok le comportement humiliant de son professeur de théâtre, Mhadheb Rmili. Ce dernier, habitué des phrases douteuses, aurait ironisé sur son « derrière », provoqué les rires de la classe, et multiplié les remarques blessantes. Résultat ? Renvoyée. Définitivement.
Sans confrontation, sans enquête, sans audition contradictoire. Le collège d'enseignants fait bloc derrière leur collègue, soutenu par un directeur complice. L'élève, elle, voit son avenir brisé.
Et le professeur ? Il multiplie les posts sexistes et orduriers sur Facebook. Il traite ses détracteurs de chiens, conteste leur virilité, insulte même la journaliste Sondes Zarrouki. Et malgré cela… il est reçu et honoré par le ministre de l'Education, Fethi Sellaouti. Officiellement. Devant les caméras. En pleine tempête.

Quand l'Etat honore les bourreaux et punit les victimes
Dans une démocratie digne de ce nom, un enseignant accusé de harcèlement verbal, d'humiliations à répétition et de propos à connotation sexiste devrait au minimum être suspendu à titre conservatoire. Une enquête indépendante devrait être ouverte. On écouterait l'élève, on interrogerait les témoins, on analyserait les preuves. Rien de tout cela n'a eu lieu.
À El Omrane, c'est l'élève qui a été expulsée. Définitivement. Nour Ammar, seize ans, talentueuse, brillante, est rayée d'un établissement public sans avoir pu se défendre, sans qu'aucune autorité ne prenne la peine de vérifier ses propos. Pire encore : ses camarades, qui confirment ses dires, n'ont même pas été entendus. Leur parole, comme la sienne, a été purement et simplement niée.
En parallèle, le professeur mis en cause, Mhadheb Rmili, poursuit tranquillement ses cours. Il se permet des outrances sur les réseaux sociaux, insulte ses détracteurs avec un langage grossier et sexiste, multiplie les provocations. Il se moque de journalistes, traite ses opposants de "chiens", mesure la valeur des hommes à leur virilité, et tourne en dérision les appels au respect et à la pédagogie. Cet homme, supposé être un modèle pour la jeunesse, affiche un comportement indigne.
Et pourtant, que fait le ministre de l'Education nationale ? Il ne le réprimande pas. Il ne l'exclut pas. Il ne le sanctionne pas. Il le reçoit le 19 décembre 2022 pour lui remettre un satisfecit. En pleine polémique. En pleine tourmente. Avec le sourire. Avec les caméras.
Quel signal plus clair pouvait-on envoyer aux élèves victimes, aux parents inquiets, aux enseignants exemplaires ? Le message est limpide : en Tunisie, on peut humilier une élève, l'insulter publiquement, refuser toute remise en question et repartir avec une décoration officielle. Il suffit d'avoir l'appui de son syndicat et d'un bon carnet d'adresses.
À travers cette scène kafkaïenne, l'Etat renverse les valeurs : les enfants sont punis, les bourreaux sont récompensés. L'injustice devient doctrine. Le ministère ne protège plus les élèves, il protège ses réseaux. Il ne défend plus l'école, il défend son autorité.
Nour Ammar ne sera pas la dernière victime de cette logique. Mais elle en est l'un des symboles les plus criants. Car en l'humiliant, en l'excluant, en refusant de la croire, l'Etat tunisien a choisi son camp. Et ce camp, ce n'est pas celui de la pédagogie, de la justice, ni de la jeunesse. C'est celui du silence complice et du corporatisme cynique.

Kaïs Saïed, beaucoup de paroles, zéro acte
Face à cette situation, on aurait pu espérer un sursaut du sommet de l'Etat. Le président Kaïs Saïed n'a pas ménagé ses mots. Le 2 avril 2025, il recevait le ministre de l'Education à Carthage. Il dénonçait la destruction du système éducatif depuis les années 1990, fustigeait les programmes appauvrissants, promettait une nouvelle ère fondée sur la science, l'éthique et l'équité.
Deux jours plus tard, le 4 avril, un conseil des ministres entérinait en grande pompe la mise en place administrative du Conseil supérieur de l'éducation.
Et ensuite ? Plus rien.
Près de trois mois plus tard, ce conseil n'a toujours aucune existence effective. Aucun président, aucun secrétariat, aucun programme. Un miroir aux alouettes de plus. Un discours sans suite. Une réforme fantôme.

L'éducation, otage des médiocres et des corporatistes
Tous les enseignants ne sont pas à blâmer. Il serait injuste et absurde de généraliser. Des milliers de professeurs en Tunisie exercent leur métier avec passion, rigueur et dévouement. Ce sont eux qui, dans le silence du quotidien, portent encore à bout de bras une école publique qui s'effondre. Ce sont eux qui, parfois avec des moyens dérisoires, arrivent à transmettre, à éveiller, à inspirer. Ils existent. Et c'est grâce à eux que le système tient encore.
Mais à côté de cette majorité silencieuse, il y a les médiocres. Ceux qui n'ont rien à faire dans une salle de classe. Ceux qui n'ont ni la compétence, ni l'amour de la transmission, ni le sens de la pédagogie. Ceux qui prennent leurs élèves de haut, qui punissent sans expliquer, qui notent sans corriger, qui méprisent les faibles et flattent les forts. Ceux qui ne voient plus des êtres humains derrière les copies, mais des quotas à éliminer ou des chiffres à classer. Ces enseignants-là existent aussi. Et ils font des dégâts.
Et surtout, il y a les corporatistes. Ceux qui, à la moindre critique, dressent un mur. Ceux pour qui le simple fait d'être enseignant donne tous les droits, y compris celui de ne jamais être remis en question. Ceux qui s'offusquent plus d'un commentaire sur Facebook que d'une injustice infligée à un élève. Ceux qui préfèrent défendre un collègue, même en faute, plutôt que d'entendre une victime. Ceux qui pensent que la dignité du métier passe par le silence et la solidarité, jamais par l'introspection ou la remise en cause.
Ces deux minorités – les médiocres et les corporatistes – ont pris en otage le système. Ils bloquent toute réforme. Ils intimident toute voix dissidente. Ils font taire les élèves, marginalisent les bons enseignants, et paralysent les ministres eux-mêmes. Ils imposent une omerta dans les établissements, une culture de la peur, une logique de caste. Et le syndicat, au lieu de faire le ménage, les protège.
Le plus grave, c'est que l'Etat s'est accommodé de cette dérive. Par calcul. Par lâcheté. Par cynisme. Il préfère acheter la paix sociale plutôt que d'affronter le monstre qu'il a nourri. Il préfère décorer les bourreaux plutôt que d'écouter les victimes. Il préfère les grandes déclarations que les réformes concrètes. Résultat : l'école tunisienne est devenue une zone de non-droit, une institution figée, incapable de se réinventer, incapable de se défendre.

Ecole de la soumission, démocratie étouffée
Et pendant ce temps-là, les Toumadher, les Nour, et des milliers d'autres grandissent avec des cicatrices invisibles. Leur école ne les a pas élevés, elle les a brisés. Elle n'a pas transmis la confiance, mais la peur. Elle n'a pas stimulé l'esprit critique, elle l'a muselé. Ce qui aurait dû être un sanctuaire du savoir est devenu une fabrique à frustrations. Un espace sans justice.
Mais ce que l'école produit aujourd'hui, ce n'est pas seulement une jeunesse désabusée. C'est une génération soumise. Habituée à se taire. Conditionnée à ne pas dire non. Dressée à courber l'échine.
Ce qui arrive à Toumadher et Nour à l'adolescence, c'est ce qui arrive à Sonia Dahmani, Mourad Zeghidi, Abir Moussi à l'âge adulte. Même mécanique. Même punition. Même logique. Le crime ? Avoir parlé. Avoir douté. Avoir voulu penser autrement, librement. Avoir rêvé d'un pays du XXIᵉ siècle, et non d'un Etat archaïque où les professeurs sont encore vénérés comme des prophètes et les dirigeants politiques adulés comme des dieux.
Aujourd'hui, on exclut une élève pour un post TikTok. Demain, on incarcère une avocate pour une phrase sur un plateau télé. La cohérence est glaçante. Le pouvoir n'écrase pas seulement ceux qui s'opposent. Il fabrique cette soumission dès l'école, dès l'enfance.
Car en brimant la liberté d'expression dès les premières années de vie citoyenne, en punissant la justice et la parole, c'est la démocratie elle-même qu'on assassine à la craie blanche.
Tant que l'on refusera de nommer les choses, tant qu'on laissera les médiocres faire la loi et les corporatistes verrouiller le débat, l'éducation tunisienne ne changera pas.
Elle continuera de trahir ceux qu'elle est censée élever. Et avec elle, c'est la République qui se fissure dès la première heure de cours.


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