Avec le différend qui vient de surgir entre l'administration de la Banque centrale et le gouvernement concernant le droit de regard sur la politique monétaire, tous les intervenants dans la vie politique se mettent à revoir les débats houleux à la Constituante, en décembre dernier, lors de l'adoption de l'article portant sur cette institution dans l'organisation provisoire des pouvoirs. L'on se rappelle tous comment le Mouvement Ennahdha avait essayé de mettre la main sur cette institution, en accordant au Chef du gouvernement le pouvoir de nommer son Gouverneur. Il a fallu cette levée de boucliers pour obtenir un compromis instituant l'indépendance de la Banque centrale et compliquant les procédures de nomination de son administration. Que signifie donc cette remarque à propos de la politique financière dans le programme économique et sociale présentée par le gouvernement à l'Assemblée nationale constituante? Est-ce juste un ballon d'essai, ou le début d'un accrochage? Le Mouvement Ennahdha, plaque tournante de la Troïka, a certes habitué la classe politique par ses tentatives de diversion sur toutes les questions polémiques, avant de se prononcer «innocemment» pour la position déjà annoncée lors de précédents accords. Doit-on classer cette remarque concernant la politique financière comme étant une énième tentative de diversion de la part de ce mouvement? Le fait est que le geste du gouvernement a surpris les observateurs et suscité une réaction sèche de la BCT, qui a rappelé dans un court communiqué que «la conduite de la politique monétaire est de son ressort et ce, conformément à l'article 33 de la loi n° 1958-90 portant création et organisation de la Banque Centrale de Tunisie». La BCT a également expliqué que «ladite loi stipule que la Banque Centrale a notamment pour mission de veiller sur la politique monétaire, de préserver la stabilité des prix et du système financier». Dans la deuxième partie de son communiqué, la BCT a attiré l'attention du gouvernement sur le fait qu'inclure une mesure portant sur l'adoption d'une politique monétaire expansionniste et de taux d'intérêt bas dans le programme du Gouvernement «est en contradiction avec la loi qui confère à la Banque Centrale la mission de la conduite de la politique monétaire en rapport avec l'évolution de la situation économique et financière, objet d'un suivi continu et rigoureux. Et ce, dans le cadre de l'indépendance de la Banque Centrale consacrée par la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics». Ce qui crée davantage la surprise des milieux financiers et politiques, c'est que le Gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli a été reçu par le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, le 30 mars 2012, à l'occasion de la présentation des états financiers. La situation du secteur financier et de l'économie en général a été examinée. Le Gouverneur de la BCT a relevé dans son rapport des prémices positives ayant marqué ces indicateurs. Mais, aucune information concernant cette «ingérence» ne lui avait alors été communiquée. C'est dire que le gouvernement cachait bien son jeu. Pour les sphères spécialisées, la question de l'indépendance de la Banque centrale est d'une importance capitale en matière d'acquisition de confiance dans l'économie d'un pays. Mohamed Haddar, le président de l'Association des économistes tunisiens a insisté sur «l'importance de cette indépendance, pierre angulaire selon lui, d'une politique économique et financière transparente». Par ailleurs, cette approche est partagée à l'échelle internationale, et rejoint la position de la BCT par rapport aux agences de notation à l'échelle internationale. Mustapha Kamel Nabli n'a-t-il pas récemment déclaré «qu'étant donné que les notes de crédit constituent des opinions sur le risque encouru, il est évident que cette notation permet un meilleur partage des risques entre l'entreprise et l'institution bancaire». Par ailleurs, M. Nabli a certes précisé que «le système d'information est intrinsèque à l'activité financière elle-même», mais il a toutefois constaté «qu'il reste difficile de développer cette information. C'est précisément le champ d'action de l'agence de notation qui intervient afin d'apprécier l'entreprise et, par conséquent, permettre aux financements de se développer». Ce sont donc les agences de notations qui attestent de la crédibilité des économies et leur activité souffre de conflits d'intérêts. En outre, M. Nabli a affirmé qu'il y avait une contradiction fondamentale entre le besoin de services adéquats de notation et la situation d'hostilité entre les entreprises et les agences de notation. Il a ajouté que le travail des agents de notations est important notamment pour les banques et l'activité de crédits. Il a, également, précisé que le développement de la notation reste dépendant de la qualité des prestations de l'information, d'où le besoin d'un travail collectif de toute une équipe d'intervenants, dont les banques, l'administration fiscale, l'Ordre des Experts-comptables et, bien évidemment, les agents de notation. Cette approche prouve que l'indépendance de la Banque centrale est impérative dans la bonne marche de l'économie d'un pays. L'évaluation doit émaner d'un corps indépendant et la gestion, assurée par des compétences indépendantes aussi, pour acquérir la confiance du marché financier.