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Ennahdha, la légitimité et la culture de l'irresponsabilité en politique
Publié dans Business News le 26 - 07 - 2013

Sèchement renvoyés à notre impuissance par les balles de tueurs sans visage, nous voilà une fois de plus réduits à la contemplation du désastre. Un mort de plus, le député Mohamed Brahmi. Des ministres et des élus incapables de peser sur le cours des choses. De vaines gesticulations. L'âpre odeur des lacrymogènes qui flotte au dessus de l'avenue. Et ce sentiment, obsédant, angoissant, que la Tunisie, qui avait inauguré les promesses (déçues) du printemps arabe, s'enfonce dans une crise dont on ne voit plus le bout.
Ali Laârayedh, le Premier ministre, réagissant à chaud, l'a martelé avec force hier : « le gouvernement poursuivra sa mission ». Monsieur Laârayedh, vous êtes un homme intelligent, vous êtes certainement une des plus brillantes compétences d'un parti (Ennahdha) qui en manque cruellement. Mais aujourd'hui, j'ai le sentiment que vous souffrez de la comparaison avec votre prédécesseur, Hamadi Jebali, qui, en des circonstances presque analogues, avait au moins su prendre la mesure du drame. A défaut de réussir dans sa mission, lui, au moins, avait endossé la responsabilité morale et politique de la tragédie, une responsabilité qui lui incombait en tant que chef du gouvernement.
Monsieur Laârayedh, n'avez-vous donc rien compris ? Non, vous n'avez pas armé la main des tueurs. Non, vous n'avez pas trempé dans une conspiration. Pourtant, votre responsabilité est engagée.
Cet assassinat politique n'est ni le premier, ni le deuxième, c'est le troisième en neuf mois. Jamais, même aux pires temps de la dictature, nous n'avions vu cela en Tunisie. Vous nous aviez promis que les choses allaient changer, que plus rien ne serait comme avant après le meurtre de Chokri Belaïd. Mais vous n'êtes pas parvenu à endiguer la violence. Vous n'êtes pas parvenu à mettre un terme aux agissements des Ligues de Protection de la Révolution, qui continuent à terroriser, à intimider, à prêcher la haine et à appeler au meurtre. En toute impunité. L'insaisissable Abou Iyadh court toujours et continue à vous narguer. Vous avez été militairement tenu en échec par les salafistes dans les montagnes du Chaâmbi. Vous n'avez pas réussi à stopper le flot des djihadistes tunisiens vers la Syrie. Vous n'avez pas réussi à arrêter les meurtriers de Chokri Belaïd. Relevés anthropométriques à l'appui, dans une mauvaise mise en scène américaine, vous avez d'abord prétendu que le tueur s'appelait Kamel Gadhgadhi.
Aujourd'hui, vous nous dîtes qu'il s'agirait en fait de Boubakeur Al Hakim, et qu'il serait aussi responsable de l'assassinat de Mohamed Brahmi. Vous dîtes peut-être vrai. Mais comment voulez-vous que l'on vous croie maintenant ? La confiance est brisée. Il y a peut-être encore plus grave. Vous et votre parti avez aussi failli moralement. Vous n'avez pas su vous départir de votre arrogance, et ici, je m'adresse tout spécialement à messieurs Rached Ghannouchi et Sahbi Atig.
Vous n'avez tiré aucune leçon des récentes tragédies, ni tenu aucun compte de vos erreurs du passé. Vous avez continué à monter les Tunisiens les uns contre les autres, à diaboliser vos adversaires, ceux qui ne pensent pas comme vous, ceux qui défendent d'autres orientations politiques, et aussi les « modernistes » et les « laïcs », qui, à vous entendre, seraient de tous les « complots ». Aucun de vos dérapages frisant les appels aux meurtres n'a été sanctionné. Ennahdha, sous prétexte de cohésion, pratique en réalité la culture de l'impunité. Et son gouvernement, qui se drape dans les sacro-saints attributs de la « légitimité », a en réalité fait sienne la théorie de l'irresponsabilité. Vous nous dîtes que nous n'avons pas le droit d'appeler à la chute du gouvernement, car ce serait un attentat contre la démocratie et contre la légitimité. Une clarification conceptuelle s'impose !
Vous avez une fâcheuse tendance à confondre légitimité et irresponsabilité. La légitimité n'est pas un chèque en blanc. Elle ne peut pas indéfiniment tenir lieu d'excuse. Elle n'exonère pas de ses responsabilités. La légitimité ne donne pas des droits, elle donne des devoirs. Les élections vous ont donné le droit de gouverner. Gouverner, c'est servir. En démocratie, les dirigeants peuvent jouir du pouvoir mais doivent aussi rendre des comptes. Vous avez échoué. Il est temps que vous en tiriez les conséquences. Hamadi Jebali l'avait compris au soir de l'assassinat de Chokri Belaïd. Vous avez torpillé son initiative.
Aujourd'hui, n'attendez pas de nous que nous cautionnions un énième replâtrage cosmétique. Il est temps de faire le ménage. Le pouvoir que vous exercez et que vous continuerez à exercer – car je ne me fais aucune illusion, vous n'allez pas partir -, ce pouvoir est un pouvoir légal. Mais il est devenu illégitime.
Venons-en maintenant à l'autre immense faillite morale et politique de la période qui s'est ouverte avec les élections du 23 octobre 2011, la mal-nommée Assemblée nationale constituante, source supposée de toutes les légitimités. Le même constat s'impose : elle a failli et ses dirigeants doivent rendre des comptes. Quand un navire fait fausse route ou se fracasse sur des récifs, à qui demande-t-on des comptes en premier ? Au capitaine ! Monsieur le président Mustapha Ben Jaâfar, vous devez être tenu pour le principal responsable des déboires de la Constituante. Cette plaisanterie a assez duré. Pour une fois, soyez à la hauteur de vos responsabilités et démissionnez !
Je doute cependant que vous m'entendiez. Vous et l'institution que vous incarnez posez un redoutable problème politique aux femmes et aux hommes de bonne volonté qui se soucient de l'intérêt national et de la réussite de la transition démocratique. Que faire, quelle attitude adopter ? Les appels à la démission des élus fusent de toutes parts. C'est un débat périlleux et cornélien.
C'est Béji Caïd Essebsi, au soir de l'assassinat de Chokri Belaïd, en vieux renard de la politique qu'il est, qui avait levé le lièvre. A l'époque, j'étais sceptique, car nous n'avions pas de solution de rechange, pas de plan B. Je suis forcé d'admettre que, rétrospectivement, les événements semblent lui donner raison. Pour autant, cette solution est-elle praticable ? L'intention est louable : elle vise à ne plus cautionner une mascarade et à créer un choc psychologique. Mais, l'histoire l'enseigne, le boycott et la politique de la chaise vide ne sont pas sans risques. De Gaulle l'avait pratiquée avec bonheur au sein de la Communauté européenne, au début des années 60. Parce qu'il était en position de force. La France était puissance dominante et puissance nucléaire en Europe. Mais beaucoup d'opposants africains ont pratiqué le retrait à leurs dépens, dans les années 1990 et 2000, laissant un boulevard aux ex-partis uniques. Les six adversaires d'Abdelaziz Bouteflika à l'élection présidentielle d'avril 1999 aussi, avec le résultat qu'on connaît. Un président mal élu reste un président élu…
Envisageons le pire des scénarios. Au lieu d'une démission en bloc, coordonnée, spectaculaire et irrévocable, des vagues et des vaguelettes désordonnées, étalées dans le temps, d'autres élus qui tergiversent, des démissionnaires qui se ravisent in extremis. Politique fiction ? Non.
Nous avons été récemment témoins de ce triste spectacle à l'occasion des débats sur les motions de censure des ministres et du président provisoire. Imaginons les conséquences d'un retrait désordonné : une assemblée régentée absolument par Ennahdha et par les débris d'Ettakatol et du CPR. Un parlement croupion qui avaliserait une Constitution taillée sur mesure pour les actuels maîtres du pays, et qui organiserait des élections à sa main. Un cauchemar ! Alors que faire ? La responsabilité qui pèse sur les épaules des dirigeants de l'opposition est écrasante. Je ne prétends pas apporter de solution, car je n'en ai pas. Je ne peux que m'en remettre à leur intelligence et à leur clairvoyance. Sans garantie aucune.
Terminons cette triste chronique comme nous l'avons commencée, en formulant une adresse aux dirigeants provisoires de ce pays. Inutile de rêver : le gouvernement ne démissionnera pas si on ne l'y force pas, l'Assemblée constituante, même vidée de ses forces, continuera à se couvrir de honte, et Mustapha Ben Jaâfar s'accrochera à son perchoir. Mais se pourrait-il que nos dirigeants, à défaut de sursaut républicain, entament au moins un examen de conscience ? Le plus consternant, dans la séquence actuelle, réside peut-être dans cette absence presque totale d'introspection et d'autocritique.
Hamadi Jebali avait présenté ses excuses au peuple tunisien. L'Histoire, à défaut de retenir son bilan, lui fera au moins crédit de son attitude, qui a été celle d'un homme et d'un homme d'Etat. Il s'est effacé de la scène avec un certain panache. Mais Ennahdha et ses supplétifs du CPR ont continué à alimenter les soupçons de connivence avec les LPR. Ennahdha et ses supplétifs du CPR ont continué à cultiver l'ambivalence à l'égard de la violence, faisant mine, souvent, de la cautionner dans leurs discours. Entendre Sahbi Atig, alors que le sang de Mohamed Brahmi n'avait pas fini de sécher, verser des larmes de crocodile à la télévision, voilà qui représente le comble de l'indécence et de la grossièreté !
A défaut de démission, on aurait au moins aimé entendre un discours de contrition et de vérité émanant de responsables d'Ennahdha. Un discours qui aurait affirmé, en substance : « Nous demandons pardon au peuple pour nos errements et nos flottements. Oui, nous avons un problème non réglé avec la violence. Oui, dans l'histoire de notre mouvement, nous avons flirté avec la ligne rouge et nous l'avons parfois franchie. Nous avons changé et nous voulons continuer à changer. Nous avons eu tort de nous laisser emporter, de stigmatiser et de diaboliser nos adversaires. Nous allons sanctionner ceux des nôtres qui se sont rendus coupables de ces dérapages. En tant que parti de gouvernement, nous allons faire tout ce qui est notre pouvoir pour promouvoir un climat politique apaisé. Nous avons été maladroits dans certaines des nominations, nous avons fait preuve de complaisance à l'égard de certains groupes qui nous ont été proches, et nous n'avons pas tout mis en œuvre pour lutter contre la violence politique. »
Nos gouvernants pourraient joindre le geste à la parole, en prenant des mesures conservatoires, pour geler toutes les activités des LPR, en attendant que la justice prononce leur dissolution. Et en mettant à l'écart, ne serait-ce que temporairement, et en sanctionnant Sahbi Atig. Pour l'exemple. Parce que la politique se nourrit aussi d'exemples.
On peut rêver. Mais on sait que rien de cela n'arrivera, que les voix comme celles de Cheikh Mourou, de Samir Dilou ou d'Aziz Krichen resteront des voix marginales au sein de leurs propres formations. L'affrontement stérile continuera, l'Etat continuera à se déliter, la violence continuera à gangréner la société politique et la société tout court. L'irresponsabilité et l'esprit étroitement partisan continueront à régner en maîtres dans notre pays, pour le plus grand malheur de la Tunisie. J'espère tellement me tromper…
*Samy Ghorbal : Journaliste et écrivain. A publié Orphelins de Bourguiba & héritiers du Prophète (Cérès, janvier 2012) et Le Syndrome de Siliana (Cérès, mai 2013).


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