On m'avait posé la question à l'issue des 100 jours de ce gouvernement, sur une évaluation de notre ministère de tutelle. J'avais répondu que malgré une certaine lenteur, tout allait dans le bon sens, en particulier avec les réunions du Conseil Stratégique du Numérique censé structurer la réalisation de tous les projets que le secteur propose depuis près de 5 ans. Aujourd'hui , donc un an après, nous sommes beaucoup moins enthousiastes car très peu de projets ont avancé. Ces projets, proposés dans le cadre de Tunisie Digitale en 2013, sont essentiels pour rattraper le fossé numérique qui est en train de se creuser, de plus en plus, avec les pays méditerranéens qui aspirent eux aussi à devenir des plateformes digitales.
Tunisie Digitale est le fruit d'un long travail de partenariat public/privé totalement inexistant avant janvier 2011. Ces projets, que nous défendons aujourd'hui, sont des piliers de la transformation digitale : e-éducation, paiement en ligne, e-retail, e-santé, e-tourisme, et cloud national qui permettra la consommation des services numériques à l'usage.
Le Cloud National qui est pourtant la base même de Tunisie Digitale en est encore au stade de la réflexion, ce qui fait que nous n'avons pour le moment aucune visibilité, contrairement à tout ce qu'on lit dans certains journaux, pour les délais de la mise en oeuvre de l'identifiant unique, de la E-CIN (carte d'identité), du Passeport Biométrique ou de la carte de soins numérique. Quels sont les autres grands projets de Tunisie Digitale et dont nous déplorons la lenteur ?
1-la E-santé : le document prévoyait une étude " Masterplan" pour septembre 2015. Notre proposition était de lancer en parallèle des projets pilotes dans les régions intérieures du pays et financés par les opérateurs téléphoniques et internet capables de fournir des plateformes et d'héberger des start-ups. Ces mêmes start-ups qui souffrent aujourd'hui du manque de canaux de distribution. Le projet E-santé prévoit aussi la mise en place d'un programme de suivi de médicaments, économisant à l'état 100 millions de DT de vols de médicaments rien que pour l'année 2015. Douze établissements publics de santé devaient être équipés en septembre 2015.
2-le E-retail : ou le seul moyen d'endiguer le commerce parallèle par la technologie : il s'agit de la codification de plus de 500 000 produits assurant ainsi la traçabilité de ces produits. Notre plan prévoyait un consortium Poste Tunisienne/TTN/ GS1 et startups. Ce projet n'a même pas démarré. Je vous laisse imaginer le nombre d'emplois susceptibles d'être générés par ce projet…
3-le E-tourisme : la réalisation du premier lot de la plateforme nationale de tourisme était prévue, suivant le plan de Tunisie Digitale en mars 2016. Nous en sommes malheureusement encore au stade de l'étude.
Les projets que nous, représentants du secteur, défendons et tentons de mettre en place à travers le Conseil Stratégique du Numérique, absorberont 8 000 à 10 000 ingénieurs, qui malheureusement pour le moment quittent la pays faute d'opportunités, mettant leur savoir (acquis pour une partie gratuitement) au service d'autres économies.
Ces projets fourniraient un environnement adéquat aux petites entreprises et start-ups pour y tester et distribuer leurs applications. Et ils sont avant tout prioritaires car nous ne pouvons pas prétendre nous transformer en une plateforme régionale, et encore moins mondiale, si les ABC des services numériques ne sont pas avant tout fournis aux citoyens, patients et clients tunisiens. Et ne rien faire pour changer le mode de gouvernance, les lois du marché public concernant le numérique, c'est cautionner cet immobilisme et demeurer dans un monde idéal virtuel où nous serons, comme toujours, les champions du monde.
*Karim Ahres est président d'Infotica - UTICA et membre du Conseil Stratégique du Numérique