Le remplacement du chef du gouvernement, Habib Essid, s'est avéré un peu plus compliqué que prévu. Après avoir lancé son initiative de gouvernement d'unité nationale, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, doit trouver un moyen pour désigner un nouveau chef du gouvernement ou de reconduire Habib Essid à la tête d'une nouvelle équipe. Cela dépendra des consultations entre partis. Consultations actuellement brouillonnes. Le seul parti à s'être, très vite, déclaré ouvertement contre Habib Essid est Nidaa Tounes. Peut-être à cause d'un certain manque d'expérience, le parti a pris une position ferme et définitive en demandant la démission de l'actuel chef du gouvernement, réduisant sensiblement sa marge de manœuvre lors d'éventuelles négociations. Dans une déclaration à la TAP faite le 13 juin, Abdelaziz Kotti, porte-parole du parti, s'est essayé à une certaine contorsion en vue de tenter d'assouplir la position de Nidaa. En effet, il a déclaré que Nidaa Tounes avait demandé le remplacement de Habib Essid et non la démission de ce dernier…
Au début, l'initiative présidentielle semblait être irréalisable, du moins telle que l'imaginait le président : sans la démission de Habib Essid. D'ailleurs, Béji Caïd Essebsi, lors de son interview du 2 juin avait fortement suggéré que l'actuel chef du gouvernement devait laisser sa place. Aujourd'hui, les positions se sont relativement assouplies car, hormis Nidaa, les partis de la coalition gouvernement ont apporté leur soutien à Habib Essid.
Quant à Habib Essid, il s'accroche ! Depuis l'annonce de l'initiative présidentielle, Habib Essid est très actif et multiplie les messages. Il s'est accordé une balade pédestre pour aller de la Kasbah au ministère de l'Intérieur. Au cours de l'ouverture du festival de la Médina, Habib Essid a demandé au chanteur Lotfi Bouchnak de lui répéter une chanson dont le refrain est « Prenez les postes et les sièges, mais laissez-moi la patrie ». Par ailleurs, le chef du gouvernement s'est offert une visite inopinée au gouvernorat de Béjà, en plus des conseils des ministres et du rythme normal de réunions bilatérales, dont la dernière a eu lieu avec Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale.
Pour s'assurer que son message est passé, Habib Essid a confié à notre confrère Mondher Bedhiafi qu'il « ne pensait pas à démissionner » et « qu'il y avait d'autres scénarios prévus par la constitution pour changer le gouvernement ». Le message est on ne peut plus clair : je ne m'en irais pas sur une démission, je refuse de jeter l'éponge. Il est vrai que la pilule serait difficile à avaler pour ce commis de l'Etat. Partir sur une démission pourrait être l'aspect qui bloque Habib Essid. Non pas qu'il soit attaché à son poste, mais il ne veut pas le lâcher en ayant perdu la face.
A partir de là, il existe deux hypothèses : La première est que Habib Essid s'est engagé dans un réel bras de fer avec Carthage et sachant qu'il ne peut être limogé, poussera la majorité à aller vers le vote de confiance dans lequel il semble avoir des chances substantielles d'être reconduit. La deuxième hypothèse est celle qu'il existe un accord entre Béji Caïd Essebsi et Habib Essid pour que ce dernier reste en poste le temps de lui trouver un remplaçant voire qu'il soit reconduit à la tête du gouvernement d'union nationale. Cette hypothèse se trouverait confortée par le fait que BCE n'ait, à aucun moment, demandé à Habib Essid de présenter sa démission, c'est même le contraire.
L'hypothèse de la confrontation semble éloignée. Celle-ci supposerait que Habib Essid est un fin politicien qui veut obliger la présidence à se confronter directement au parlement. Or, c'est justement l'absence de toute envergure politique qui est reprochée à Habib Essid depuis sa nomination. Mais certains connaisseurs diront qu'il est impossible de « survivre » dans l'administration pendant plus de 30 ans sans toucher un peu sa bille en politique…
Ainsi, il semble plus plausible que Habib Essid n'ait pas présenté sa démission pour éviter un vide institutionnel qui lui serait préjudiciable dans le sens où il n'aurait pas soigné sa sortie, et qui serait aussi préjudiciable à la présidence de la République qui serait vite accusée de jeter le pays dans l'inconnu.
Par conséquent, la question qui se pose est celle de savoir si Habib Essid présidera ou pas le gouvernement d'union nationale. Dès le départ, à l'annonce de l'initiative présidentielle, Béji Caïd Essebsi n'avait pas exclu que « l'autre », comme il avait désigné Habib Essid, continue à être chef du gouvernement mais avec une équipe recomposée qui rassemblerait toutes les sensibilités. D'autre part, à l'exception de Nidaa Tounes, qui voit en Habib Essid un allié indéfectible de Ridha Belhaj, les partis politiques ne tiennent pas spécialement à son éviction.
Dans tout cela, Ennahdha, deuxième parti du pays, a pris son temps et ne s'est pas précipité pour déclarer ses intentions. Le parti islamiste a exprimé son soutien de principe à l'initiative du président tout en précisant que le remplacement de Habib Essid n'est pas une condition sine qua none. Toutefois, par la voix de son président Rached Ghannouchi, Ennahdha a demandé à avoir une meilleure représentativité au sein du gouvernement, conformément à son poids à l'assemblée. Le parti islamiste tente ainsi de fortifier ses positions dans les rouages du pouvoir dans le cas où le gouvernement serait ouvert à toutes les sensibilités, comme le souhaite le président de la République.
Les évolutions de l'initiative présidentielle quant à la formation d'un gouvernement d'union nationale confirment la volonté du président de mettre les partis au pied du mur. Habib Essid peut être l'un des rouages de ce plan s'il ne se grippe pas. Ce dernier n'est pas attaché à son poste mais il semble vouloir apporter un soin à sa sortie et ne veut pas que l'Histoire se rappelle de lui comme le chef du gouvernement qui a abandonné le navire à un moment sensible de l'histoire du pays. Si la volonté se dirige vers son remplacement, ce sera un élément crucial à prendre en considération. Aujourd'hui, 14 juin, le porte-parole du gouvernement, Khaled Chouket, a annoncé que Habib Essid ne démissionnerait pas de son poste et qu'il souhaite se diriger vers l'assemblée pour un vote de confiance. Ainsi, Habib Essid met encore plus la pression et prend une initiative qui risque de contrecarrer les plans de Béji Caïd Essebsi. M. Chouket a insisté sur le fait que le gouvernement souhaite avoir un bilan objectif de son action par l'assemblée. Il semble que Habib Essid soit décidé à ne pas se laisser faire la veille d'une réunion prévue à Carthage pour discuter d'un hypothétique nouveau gouvernement.