Environ 1,3 milliard de tonnes, soit près d'un tiers de toutes les denrées alimentaires produites dans le monde, sont perdues ou gaspillées chaque année. Chaque seconde, plus de 41 200 kilos de nourriture sont jetés dans le monde où près de 868 millions de personnes souffrent encore de la faim. 1/3 de la production globale de denrées alimentaires dédiée à la consommation. Le gaspillage alimentaire concerne les pays riches comme pauvres et représenterait une valeur gaspillée de 990 milliards de dollars.
Ces chiffres qui font froid dans le dos, ont été annoncés par la FAO, qui précise au passage, qu'un quart des pertes de produits alimentaires serait suffisant pour nourrir les 870 millions de personnes qui meurent de faim dans le monde. La réduction des pertes et du gaspillage alimentaires est ainsi devenue une priorité essentielle pour garantir la sécurité alimentaire mondiale et la continuité des systèmes alimentaires durables. Ce fléau du monde moderne, catalysé par de nouvelles habitudes de consommation et une industrialisation de la production, est observé à 54 % durant les phases de production, de manutention et de stockage et à 46 % aux stades de la transformation, de la distribution et de la consommation. Dans les pays à revenu moyen ou élevé, le gaspillage est très lié à la consommation, dans les pays à revenu faible, en revanche, il se situe plus en amont, c'est-à-dire au niveau de la production et du stockage.
En plus d'être condamnable pour les raisons d'injustice sociale que l'on connait, le gaspillage alimentaire coûte très cher aux pays qui ne font rien pour le limiter, mais aussi et surtout au consommateur, à l'agriculteur et en terme de ressources environnementales. A chaque fois que des denrées alimentaires sont perdues, toutes les ressources naturelles utilisées pour les cultiver, les transformer, les emballer et les transporter l'ont été inutilement, explique la FAO.
Sans être donc forcément liés à la richesse des pays, les pertes et gaspillage alimentaires sont aussi importants dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) que dans le reste du monde. Les pertes alimentaires sont officiellement estimées à 250 kg de nourriture par personne et par an dans la région, indique l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture.
45% des aliments gaspillés dans la région MENA sont des fruits et des légumes, 28% sont des poissons et des fruits de mer, 26% de racines et de tubercules, 19% de céréales, 18% de produits laitiers et 13% de viandes, a précisé Raoudha Khaldi, consultante et experte du projet FAO pour la valorisation des chaines de valeurs alimentaires, lors du séminaire régional de l'analyse du gaspillage alimentaire qui s'est tenu aujourd'hui à Tunis.
Ce gaspillage, explique l'experte, possède de nombreuses causes. D'abord, au niveau du circuit de distribution, un manque de coordination entre les différents acteurs de la chaine alimentaire, des accords commerciaux de plus en plus axés sur des exigences esthétiques, une gestion défaillante des stocks et des rayons ainsi que des pratiques marketing encourageant l'achat « inutile ». Le comportement du consommateur y est aussi pour quelque chose. Une mauvaise planification des courses et des menus, une gestion irrationnelle des achats, l'influence de la publicité, des préférences de consommation plus orientées vers des produits « parfaits » et calibrés ainsi qu'une mauvaise interprétation des dates de péremption, induisent à un gaspillage alimentaire qui se chiffre chaque année en millions de dollars.
Pour donner un exemple bien de chez nous, les subventions des produits alimentaires tels que le sucre, les huiles végétales et les céréales, se chiffrent chaque année à 84dt par personne dont 33dt pour le pain. 900 mille unités de pain sont gaspillées chaque jour, soit une moyenne de 100 millions de dinars chaque année, indique l'Institut National de la Consommation (INC). Le pain figure évidemment en première position des produits gaspillés par les Tunisiens avec un taux de 16%, suivi par les céréales (10%), les légumes (6,5%), les fruits (4%), le lait et ses dérivés (2,3%) et les viandes (2%).
Face à cette ineptie, qui implique tout le monde et ne semble concerner personne, la Tunisie est encore à la traine. Il n'existe pas de travail d'évaluation des pertes et gaspillage alimentaire sur des filières entières mais quelques études ponctuelles où le problème est constaté mais pas chiffré, excepté par l'INC. Le phénomène est aussi peu pris en compte dans les politiques de développement du secteur agricole et agroalimentaire, alors que des solutions efficaces, qui sont pratiquées dans certains pays pourraient servir de modèle, a souligné l'experte Raoudha Khaldi. Des modèles à l'instar de l'Egypte, qui a opté pour une réforme des subventions du pain, le Liban, qui, à travers la Banque alimentaire (LFB) a initié un large programme de sensibilisation avec en prime, la redistribution des excédants aux orphelinats, établissements de santé ou associations. La France a aussi opté pour une loi anti-gaspillage en 2016, a axé ses priorités sur le « donner au lieu de jeter ». Ainsi, les hyper marchés de plus de 400m² devront désormais signer des accords de dons avec des associations ou payer 3750 euros. La destruction des denrées consommables jetées par les supermarchés, pratique jusque-là très répandue, est désormais interdite. L'Italie a été, pour sa part, le premier pays à avoir adopté une loi qui offre des avantages fiscaux aux institutions qui distribuent gratuitement de la nourriture aux personnes dans le besoin, a indiqué Deryne Dogui, directrice à l'INC.
Tous ces exemples, et bien encore d'ailleurs, nous pouvons aussi parler de recyclage, de magasins solidaires et autres, sont la preuve que des solutions existent. Néanmoins, tout devra passer par un changement d'habitudes de consommation et l'adoption de bonnes pratiques. Ces assiettes remplies à ras le bord, ces yaourts que l'on pioche plus loin dans le rayon pour ne pas prendre ceux dont la date limite de consommation est proche et ces fruits et légumes parfaits que tout le monde veut admirer pour les couper ensuite, toutes ces pratiques ne font qu'enfoncer le clou.
Acheter juste ce dont on a besoin, quitte à retourner au supermarché, recycler les restes, opter pour les légumes « moches », se renseigner sur les méthodes de conservation, sur cette grande arnaque des Dates limite de consommation (DLC), qui souvent peuvent être dépassées de quelques mois sans aucun risque sur la santé des consommateurs et adopter un comportement de consommation responsable, sont un premier pas vers le salut. Pour le reste, chaque pays devra adopter une stratégie visant à réduire le gaspillage alimentaire et par conséquent le gaspillage en ressources naturelles rares à l'instar de l'eau, dont la région MENA manque de surcroît.