Il parait que quand on veut noyer une affaire, le meilleur moyen reste d'annoncer la création d'une commission d'enquête, dont les résultats ne verront sans doute jamais le jour. En Tunisie, les affaires n'ont pas manqué depuis la révolution et nombreuses enquêtes ont été menées notamment au sein des ministères de la Santé et du Transport. Toutefois, jusqu'à ce jour, rares ont été les rapports d'enquêtes clôturées qui ont été rendus publics. A se demander si « nous allons créer une commission d'enquête » n'est pas une juste une formule toute trouvée pour faire taire l'opinion publique… Aujourd'hui, mardi 8 août 2017, le ministre du Transport, Anis Ghedira, annonce l'ouverture d'une enquête sur un incendie survenu plus tôt ce matin à Tunisie Catering. Le ministre, qui s'est rendu sur les lieux pour examiner les dégâts, dont la valeur n'a pas encore été estimée, a autorisé qu'une enquête soit ouverte pour déterminer les circonstances de l'incendie et déterminer les éventuelles responsabilités. Ce n'est pas la première fois que le ministère du Transport annonce une telle nouvelle. Nombreux autres incidents ont déjà fait l'objet d'enquêtes. Des enquêtes qui sont restées sans suite. Le dernier scandale de la compagnie aérienne nationale Tunisair a fait couler beaucoup d'encre mais rien n'a été révélé depuis. Le PDG de la compagnie, Elyes Mnakbi, avait affirmé au mois de mars que le conflit qui a opposé l'équipage de l'avion et l'équipe technique du vol 716 et qui a causé la suspension de tous les vols de Tunisair, ferait l'objet d'une enquête pour « déterminer les responsabilités des personnes en cause ». Depuis, bien que les incidents se soient enchainés poussant le chef du gouvernement lui-même à exiger une enquête et des mesures disciplinaires adéquates, aucun rapport n'a été publié. Le cas de la compagnie aérienne est édifiant. Car contrairement à ce qui a été dévoilé, le problème va au-delà d'un simple conflit sur des uniformes, et dénote d'un malaise plus profond, une crise réelle qui n'est un secret pour personne. La solution mise en place dans la hâte et qui consiste à changer les uniformes n'a pas fait de miracles. Faisant souvent la Une des journaux, le cas de la compagnie, dont la direction a aussi été l'objet d'une enquête ordonnée par Anis Ghedira, demeure un mystère. Les problèmes de gestion avérés et la crise financière qu'elle traverse ont été l'objet de nombreuses enquêtes mais rien n'est venu éclairer l'opinion publique sur la réalité des faits. Si enquête il y a réellement…
Plus tôt dans l'année, au mois de janvier 2017, et suite à l'accident d'un bus scolaire à Jebal Rsass, qui a fait 86 blessés et un décès. Les ministères de la Santé et du Transport ont annoncé l'ouverture d'une enquête sur les circonstances de l'accident. Rien ne sera divulgué par la suite sur les résultats de cette enquête. Le même constat s'applique également pour ce qui est des enquêtes menées par le ministère de la Santé. Là aussi, ce ne sont pas les affaires qui ont manqué. Mis à part les innombrables manquements constatés à chaque visite effectuée par la ministre, Samira Meraï, dans les hôpitaux du pays, nombreux scandales ont ébranlé le secteur ces derniers mois. Au mois de juin dernier, pour ne citer que ce cas, les photos d'une opération de circoncision collective, organisée par la direction générale de l'hôpital universitaire Habib Bourguiba de Sfax en partenariat avec le syndicat de base des agents de la santé, a suscité l'indignation de l'opinion publique et de nombreux médecins. Les circoncisions ont été pratiquées sans le moindre respect des précautions d'usage. Une centaine d'enfants d'agents ont été circoncis par un praticien traditionnel, sans anesthésie, sans bilans préalables et sans asepsie, puisque pratiquée dans une salle ouverte au public, ont dénoncé les professionnels. Le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Sfax2 avait ordonné le 21 juin l'ouverture d'une enquête sur les conditions de déroulement de cette opération. Plus tard rien ne sera dévoilé sur ses résultats.
Il en est de même pour les enquêtes concernant l'incendie dans un hangar de la douane au port de Radès, survenu au mois de juin, quelques minutes seulement après la visite sur place du chef du gouvernement., ou le décès d'un nouveau-né dont la mère a été refoulée par un médecin exerçant à l'hôpital régional Houcine Bouzaiene de Gafsa. Idem pour l'enquête concernant l'Ecole tunisienne au Qatar, dont les résultats qui dépassent de loin la moyenne nationale, ont fait alerter le ministère de l'Enseignement supérieur qui a pointé du doigt « un problème de gouvernance ».
En Tunisie, après la révolution, tout fait objet à enquête ou presque. Il faut dire que l'IVD a été parmi les rares institutions à y avoir échappé, évitant de justesse la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les soupçons de corruption administrative et financière au sein de sa présidence. Souvent quand elles touchent un ministère, un parti ou un corps de métier ces enquêtes semblent se perdre dans les méandres opaques de nos institutions, sans doute pour préserver le linge sale si précieusement dissimulé.
Le cas de Tunisair mais aussi et ce n'est pas le seul, de la commission dédiée à l'embrigadement des jeunes sont parlants. Le silence, les entraves sont tels qu'il n'y a aucun doute sur une volonté de contenir les dossiers. Nombreux en sont d'ailleurs à penser que créer une commission ou ouvrir une enquête sont des balivernes qui ne servent au final qu'à faire doucement passer la pilule en attendant que le temps aide à faire oublier les affaires. D'autres encore y voient de vaines tentatives d'assainissement qui, au final, ne mèneront à rien. Certains enfin espèrent constater un jour l'aboutissement concret de toutes les enquêtes ouvertes avec, à la clé, la stricte application de la loi pour seul résultat.