La classe politique a gesticulé pendant des mois pour, en fin de compte, accoucher d'un Yassine Ayari. Un outsider de la politique, un drôle d'oiseau que personne n'a vu venir, trop occupés à dénigrer des adversaires qui se sont avérés être nettement moins sérieux. Le 17 décembre, date historique du déclenchement de la révolution tunisienne (pour ceux qui y croient encore), les élections donnent vainqueur « un pur révolutionnaire, un fils du peuple pur jus, celui qui a été rejeté par le système et qui n'a rien à voir avec les politicards qu'on voit défiler un peu partout ». Pour ceux qui croient aux symboles. Est-ce pour autant une bonne nouvelle pour la classe politique et pour les citoyens tunisiens ?
Le citoyen lambda, lui, s'en contre-fiche. Il était tout simplement ailleurs. Parmi les électeurs de la circonscription d'Allemagne, 5% ont fait le déplacement pour élire leur député. Pour les 95% abstentionnistes, ces élections ne valaient pas la peine de perdre son temps. Une majorité écrasante n'en a même jamais entendu parler avant que ce Yassine Ayari ne soit proclamé vainqueur. « Elections de quoi au juste ? ». Le même scénario risque de se reproduire aux municipales avec, cette fois-ci, des enjeux, nettement plus importants que l'élection d'un député de plus dans un siège dont personne n'entendra parler. Car, oui, avouons-le, nombreux députés ne servent à rien. Il faudrait déjà qu'une bonne partie d'entre eux daigne se présenter à l'hémicycle, à l'heure, pour qu'on les connaisse enfin.
Au-delà de son côté anecdotique et parfaitement loufoque, le score de ces élections législatives en Allemagne a permis d'ouvrir les yeux. Les politiques ont enfin ouvert les yeux (il était temps !) : « Et si on n'était pas prêts ? Et si on se prenait la déculottée du siècle ? » Pour continuer dans leurs élucubrations sans fin, le parti Nidaa Tounes (oui encore lui) sort un communiqué tout aussi révolutionnaire dans la soirée d'hier : on annonce une révision prochaine de ses relations avec « certains » partis politiques, entendez par là Ennahdha, le seul et l'unique. Le citoyen lambda, celui qui a encore la patience de suivre, s'étouffe de rire. Nidaa sans Ennahdha ? Il faut oser une sortie pareille. D'abord parce que chacun sait que Nidaa ne fera pas long feu sans son précieux allié. Ensuite, parce que dans les faits, le parti de Hafedh Caïd Essebsi ne s'aventurerait pas à faire une chose pareille. De toute évidence, tous les partis qui se sont alliés avec Ennahdha avant d' « oser » essayer de voler de leurs propres ailes se sont pris le bitume. Dans ces alliances contre nature, seul le parti islamiste sort gagnant. Il suffit de jeter un œil aux défunts CPR et Ettakatol. Personne ne s'en souvient ? Tant mieux pour eux…
Au-delà de son côté anecdotique, le résultat des élections législatives en Allemagne est à lui seul l'expression de tout ce qui se passe sur la scène politique à l'heure actuelle. Oui, parce que tout est lié. Oui, parce que c'est ce « consensus factice » et complètement ridicule entre Ennahdha et Nidaa qui a vidé la classe politique, non seulement de toute sa crédibilité (déjà bien vacillante) mais aussi de toute sa substance (déjà mise en doute).
La préparation à ces élections a duré des mois. Après le feuilleton Hafedh Caïd Essebsi, qui avait flairé un poste sur-mesure pour ses nombreuses compétences, Ennahdha qui promet de soutenir son allié Nidaa, les nombreuses listes improvisées convoitant un seul et unique poste et les guerres de pouvoir entre les partis, un candidat dont tout le monde se moquait a pris les devants et a réussi à collecter les 263 voix nécessaires à son ascension. Score ridicule, diriez-vous ? Sans aucun doute, mais personne n'a pu faire mieux.
L'instance des élections vient de fixer, enfin, la date tant attendue des élections municipales. Une date attendue certes par les politiques qui en profiteront pour rouler des mécaniques (qu'ils n'ont pas), nous crever les tympans de beaux discours mielleux sur le consensus et la volonté du peuple (qu'ils ne respectent pas) et sur leurs promesses électorales (qu'ils ne réaliseront pas). Tout cela ne veut dire qu'une seule chose : Ils ne sont pas prêts et, s'ils continuent sur cette lancée, ils ne le seront jamais. Pendant ce temps-là, le citoyen est ailleurs et ses préoccupations n'ont rien à voir avec les enfantillages avec lesquels nos politiques ne cessent de nous régaler…