Décidément, on ne semble pas prendre la réelle mesure de la gravité de la situation économique et financière que traverse le pays. Le frémissement de la croissance économique ou l'effort de maîtrise des finances publiques ne constituent qu'une éclaircie qui est loin d'être annonciatrice d'une embellie. Tant qu'on n'aura pas jugulé durablement l'inflation et stoppé la dégringolade du taux de change du dinar, il serait illusoire d'imaginer une économie tunisienne ayant repris des couleurs flamboyantes. La sortie du tunnel est encore lointaine et le rythme de cheminement est toujours aussi lent. Cette situation persistera. Comment le serait-elle autrement lorsque la levée de bouclier contre la loi de finances 2019 est aussi large et les intérêts de ses acteurs aussi divergents? L'UGTT réclame à cor, à cri et grève générale, une augmentation des salaires dans le secteur public dont elle sait qu'elle anéantirait tout effort de maîtrise des dépenses budgétaires et particulièrement de dérapages de la masse salariale au-delà de l'objectif minimal de 14% du PIB faute de pouvoir mobiliser des ressources propres supplémentaires. De l'autre côté, c'est la centrale patronale, l'Utica, qui revendique un même taux de l'impôt sur les bénéfices de 13,5% pour toutes les entreprises, ce qui, explicitement, réduirait les ressources du budget de l'Etat et, implicitement, rendrait caduc le dispositif d'incitation fiscal et inutile toute stratégie de développement. A cela s'ajoute une autre couche, celle des Ordres qui non seulement ont réussi à préserver leurs privilèges fiscaux mais aussi se défendent farouchement de divulguer toute atteinte à la loi au nom du sacro-saint secret professionnel, ne s'embarrassant pas du fait que cette attitude rend puérile leur contribution à l'exigence absolue de transparence vis-à-vis du devoir fiscal, exigence sans laquelle le principe d'équité sur lequel doit reposer tout système fiscal ne serait qu'un doux mirage, sinon un leurre. Et voila encore une autre couche, intempestive, de dernière minute, qui fera douter de la volonté de transparence et d'équité du gouvernement en excluant les grandes surfaces du taux plafond de l'impôt sur les bénéfices. Le gouvernement ne pouvait-il pas invoquer l'exception en raison du contexte? L'alourdissement de l'imposition des grandes surfaces alors que plusieurs projets d'implantation sont en cours, Carrefour, Auchan, et récemment la Fnac et Darty, constituent un énorme enjeu en termes de volume d'investissement et surtout d'emploi, pour que le gouvernement n'ait pas été tenté d'accorder momentanément une telle faveur à cette branche d'activité.
Et ne voila-t-il pas qu'un groupe hétéroclite de députés est venu en rajouter une couche par un recours en inconstitutionnalité de ces dispositions auprès de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois rendant hasardeux tout pronostic sur la promulgation de la loi de finances. Le rejet des dispositions de loi de finances objet du recours par l'Instance aurait immanquablement des fâcheuses incidences, au mieux un recours à une loi de finances complémentaire et au pire tout serait à refaire. N'y avait-il pas mieux à faire pour nos élus ? Au lieu de réduire les ressources de l'Etat n'était-il pas mieux indiqué qu'ils optent, à la place, pour une réduction des dépenses du budget, surtout que l'occasion leur était donnée à travers l'adoption du projet de réforme du régime des retraites dont l'application à partir du 1er janvier 2019 aurait permis de substantielles économies de dépenses budgétaires? Las, il n'en fut rien. Or cette réforme représente un repère parmi d'autres que scrutent les bailleurs de fonds du pays au premier desquels le FMI sur les intentions de réformes pour sortir le pays de l'ornière des difficultés économiques dans lequel il se débat depuis des années. La mise en échec de la réforme des retraites ne préfigure pas avantageusement des autres réformes tant nécessaires pour alléger le fardeau du déficit des finances publiques et notamment celle concernant la politique de subvention et particulièrement la subvention à l'énergie. Elle constituera prochainement une exigence absolue des bailleurs de fonds, une condition essentielle à la poursuite du programme de soutien du FMI. En faire fi est possible. La Jordanie s'y est essayée. En mettant en veilleuse le programme conclu avec le FMI et donc son soutien financier, le royaume hachémite a trouvé auprès des monarchies du Golfe, Arabie Saoudite, Koweït et les Emirats un soutien bienveillant, obtenant, en juin 2018, une aide de 2,5 milliards de dollars. En contrepartie de quoi ? Mystère. Est-ce que cela serait souhaitable pour la Tunisie ?