Plus d'une semaine s'est écoulée depuis sa désignation par Rached Ghannouchi pour former le prochain gouvernement. Depuis, Habib Jamli multiplie les rencontres, les tractations et les déclarations. Des partis politiques, des acteurs de la société civile et personnalités nationales, le candidat à la primature essaye de forger une opinion, former une équipe et mettre en place un programme pouvant récolter la confiance du parlement. Point sur des concertations pas aussi évidentes qu'elles n'en ont l'air. Depuis l'annonce des résultats des élections, tous les observateurs de la scène nationale étaient impatients de connaître le nouveau locataire de la Kasbah. Après de multiples ballons d'essai et une bonne période d'attente, la réponse est venue de Montplaisir et le cheikh du mouvement islamiste, Rached Ghannouchi a fait son choix. C'est Habib Jamli qui fût désigné pour former le prochain gouvernement. Illustre inconnu pour certains, marionnette entre les mains du cheikh, chacun y est allé du sien pour commenter cette désignation. Mais les faits sont là, il est bel et bien le chargé de former la prochaine équipe gouvernementale, conformément aux dispositions de la Constitution tunisienne. C'est la loi et ce sont les urnes qui ont tranché.
A peine chargé officiellement par le président de la République pour la formation du gouvernement, Habib Jamli a multiplié les déclarations pour clamer haut et fort son indépendance et réitérer son ouverture à tous les partis politiques pour mener les concertations afin de former un gouvernement dans un délai d'un mois. Une indépendance qui a été remise en cause, surtout qu'en 2011, la page officielle d'Ennahdha l'a présenté comme étant l'un des siens, lorsqu'il a été désigné secrétaire d'Etat à l'Agriculture au gouvernement Jebali.
Mais comme il fallait bien avancer, plusieurs partis ont fait abstraction de cette donnée, et ont entamé les rencontres avec M. Jamli. La série des entrevues marathoniennes a commencé avec le parti de Nabil Karoui, bien qu'il soit rejeté par la majorité des autres partis sur la scène politique. En effet, ces partis ont exprimé clairement leur refus de participer au même gouvernement aux côtés de Qalb Tounes, sur lequel pèsent plusieurs suspicions de corruption, et plus précisément, sur son fondateur. Ce veto a été posé, en premier, par le mouvement Ennahdha. Paradoxe. Ce même mouvement Ennahdha s'est accordé à merveille avec Qalb Tounes lors de l'élection de la présidence du parlement. Le vote pour Rached Ghannouchi en contrepartie du vote pour Samira Chaouachi. Mais selon les dernières trouvailles des dirigeants d'Ennahdha, ceci fût un arrangement, et entre arrangement et alliance, il y aurait tout un monde ! Mais comme le candidat à la primature est indépendant, il a le droit de discuter avec tout le monde. Pour Qalb Tounes, il n'a pas d'objection de participer au gouvernement. Et entre Rached Ghannouchi qui a clairement déclaré que Qalb Tounes ne participera pas au gouvernement et Youssef Zarrouk qui assure le contraire, on se demande sur la latitude de décision qu'aura Habib Jamli.
Al Karama, bloc au poids respectable au parlement, a eu droit à des rencontres avec Habib Jamli, à l'issue desquelles le porte-parole de la coalition, Seïf Eddine Makhlouf a réitéré ses positions quant au refus de participation des figures de l'ancien régime et des suspects de corruption. Il a mis l'accent sur la nécessité de mettre en place un programme qui respecte les revendications de la révolution et les priorités socioéconomiques. Al Karama se présente désormais comme étant l'allié indéfectible du mouvement Ennahdha, prêt à mener les plus durs combats pour son aîné.
Le mouvement Echaâb a eu son mot à dire. Bien qu'il estime qu'il est encore prématuré de parler d'une éventuelle participation au gouvernement, le mouvement a rencontré Habib Jamli pour lui faire part de sa vision et de ses orientations, qui, faut-il l'admettre, ne sont pas réellement en phase avec le mouvement Ennahdha, notamment, sur le plan socioéconomique. Certains dirigeants du mouvement Echaâb, à l'instar de Khaled Krichi, pointent même, une éventuelle alliance entre le mouvement Ennahdha et Qalb Tounes, contrairement à ce que prétendent les deux partis.
Attayar, une composante ayant son poids dans ces concertations a campé sur ses positions, et s'est attaché à ses conditions initiales, à savoir les trois portefeuilles ministériels de la Justice, l'Intérieur et la Réforme administrative. Une condition, selon les dirigeants du mouvement, qui lui permettront d'asseoir son programme et de tenir ses promesses électorales. Attayar ne trouve aucune objection à se positionner dans l'opposition en cas d'insatisfaction de ses conditions claires et précises.
Le candidat de Ghannouchi ne s'est pas arrêté à ses entrevus avec les représentants des partis politiques, il a rencontré des hommes de médias, des hommes de culture des représentants des organisations nationales et de la société civile, pour définir une idée globale sur la situation générale dans le pays, les attentes de chaque partie afin de mettre en place un programme global pouvant faire l'unanimité et satisfaire un large spectre des composantes de la scène nationale.
Toujours est-il, la question qui se pose : est-ce suffisant ? Toutes ces rencontres et ces tractations n'ont fait qu'ancrer les divergences entre les différentes parties. Aucune déclaration concrète n'a été faite à propos des entrevues à part la dernière en date de Habib Jamli qui affirme que les négociations avancent bien. En tout état de cause, l'unique certitude est la situation socioéconomique critique dans le pays. Tous les acteurs sur la scène nationale doivent parvenir à une solution et mettre en place un gouvernement capable de gérer la situation dans le pays, bien que les défis à relever soient très élevés.