MM. Noômen Fehri et Bruno Kéno, respectivement ministre tunisien des Technologies et de l'Economie numérique et ministre ivoirien de la Poste et des TIC, viennent de signer une série d'accords de partenariat dans l'optique de reprendre la coopération tuniso-ivoirienne dans le domaine des TIC. Nous vivons au rythme des travaux du sommet africain d'internet. Quels sont, à votre avis, les enjeux et les perspectives, d'abord, tuniso-ivoiriennes, puis africaines, en matière d'économie numérique et de technologies de l'information et de la communication ? Il faut d'abord souligner que ces travaux se tiennent en même temps que les journées de l'internet, ce qui est, pour nous, une bonne coïncidence. Les technologies de l'information et de la communication sont devenues tellement stratégiques pour l'amélioration du développement. Une préoccupation d'autant plus importante pour les pays en voie de développement, puisqu'ils peuvent combler leur retard de développement grâce aux TIC mais aussi grâce à la bonne utilisation de l'internet. Nous pouvons, en effet, utiliser l'internet dans les secteurs de l'éducation, de la santé, du commerce, de l'agriculture... En Côte d'ivoire, nous souhaitons utiliser les TIC pour améliorer le fonctionnement de l'Etat et rendre plus performant le climat des affaires. Les TIC nous habilitent à absorber plus d'investisseurs. Vous voyez, la boucle se boucle avec des investissements qui conduisent à plus d'emploie, plus de richesses, et ces mêmes retombées appellent d'autres investissements. Pour nous, c'est une nouvelle et importante opportunité que de maîtrise de cette technologie qui évolue dans le monde entier. Outre la signature à Abidjan d'un accord-cadre de partenariat avec le ministère des Technologies et de l'Economie numérique tunisien, vous êtes sur le point de signer quatre accords de coopération dans le domaine de la radiofréquence, la transmission digitale du savoir ainsi que la protection et la promotion des investissements dans le domaine des TIC. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur le contenu et sur la finalité escomptée desdits accords ? La finalité des accords consiste d'abord à reprendre la coopération tuniso-ivoirienne là où elle s'est arrêtée malheureusement il y a quelque années d'abord, en raison des difficultés qu'a traversées la Côte d'Ivoire ensuite des difficultés que la Tunisie a connues. La coopération entre les deux pays est historique puisqu'elle date de plus de cinquante ans. Nous voulons à notre modeste niveau de ministres des Technologies de l'information et de la communication reprendre et redonner la rigueur à la coopération tuniso-ivoirienne. Dans notre secteur d'activité, cela a beaucoup de sens. Premièrement : parce que la coopération sud-sud est efficace en ce sens que nous avons des environnements technologiques qui sont très proches et que les solutions envisagée dans un pays peuvent facilement servir à l'autre pays. Nous avons examiné les axes possibles de collaboration pour avoir ce qu'on appelle le «kick quine» et nous avons pensé que cela pouvait se faire par une collaboration au niveau des fréquences, de la régulation du secteur, par une collaboration au niveau de la formation, par une coopération entre nos parcs technologiques puisque nous avons des opportunités dans les deux sens et, en particulier, pour la partie ivoirienne. Nous nous sommes d'ailleurs convenus, ainsi que nos homologues tunisiens, sur le principe de signer deux accords supplémentaires dont un accord sur la coopération entre les deux institutions postales. C'est fondamental pour la poste d'aujourd'hui puisque celle de demain se nourrira, essentiellement, du numérique. Et nous avons la chance d'avoir à la tête des deux postes des personnes qui viennent du milieu numérique et non des postiers anodins. Pour nous, il s'agit d'une importante opportunité que de collaborer pour tirer le maximum de profit du développement numérique et développer, ainsi, l'activité postale numérique. Les autres accords que nous avons signés portent sur ce que nous avons baptisé «African book», «Open line cursus». Ce sont, en effet, les cours délivrés par de grandes universités internationales et mis en ligne, gratuitement, au profit des étudiants. Nous avons pensé qu'il était pertinent que l'Afrique puisse contribuer par ses richesses à l'échelle mondiale et qu'elle apporte sa part à ce rendez-vous du donner et du recevoir, surtout que nous recevons plus que nous donnons... L'idée étant que nos pays, que nos Etats puissent se spécialiser en offrant au monde ce qui les distingue le plus. Nous pouvons, par exemple, créer une université tunisienne spécialisée dans l'huile d'olive, dont les contributions seraient appréciées dans le monde entier. En Afrique nous avons des producteurs mondiaux de cacao et nous pouvons faire des contributions en cacao et en en fabrication de chocolat. L'Africain book service pourrait, en outre, comprendre des cours sur le domaine de l'énergie, de l'agriculture, etc. Nous allons annoncer cela officiellement et nous allons associer d'autres pays représentant d'autres régions africaines, notamment du nord, du centre, de l'est de l'ouest et du sud. Les pays ne sont pas désignés mais nous avons quelques estimations sur les pays que nous pouvons associer à ce projet. L'idée étant d'avoir une tête de pont de chaque région. Et à la fin, ce sera au tour de tous les pays africains d'intégrer ce projet. Les TIC constituent un pilier incontournable à l'essor économique et à la dynamisation des investissements sud-sud. Quelles sont, à votre avis, les lacunes dont souffre le continent africain en matière de TIC et comment devrait-on y remédier ? Les lacunes africaines en matière de TIC sont, à mon avis, l'insuffisance de l'infrastructure et le manque de connectivité. Or, ce sont les bases fondamentales à l'alimentation du signal, surtout celui du haut débit, non seulement destiné à la population mais aussi à faire circuler tous les flux importants, lesquels sont générés par une économie numérique dynamique. D'un autre côté, nous avons besoin d'intervenir sur nos environnements règlementaires qui découragent souvent les investissements surtout à défaut de confiance et de protection. En Côte d'Ivoire, nous avons intégré le concept de l'offre continue dans notre politique, pour avoir une offre locale continue une offre continue adaptée à nos besoins et une offre continue, orientée vers la création des valeurs. Tels sont les trois axes sur lesquels nous misons. Autre aspect essentiel : la formation des ressources humaines, d'un personnel qualifié au niveau ingénieur et au niveau technicien ainsi qu'au niveau des différents autres métiers. Comme vous voyez, il y a un grand nombre d'insuffisances qui, malheureusement, ont pour conséquence la faiblesse du développement des TIC dans nos pays ». Qu'est-ce qui manque aux pays africains pour devenir des producteurs de TIC et non de simples consommateurs ? Ce qu'il faudrait à nos pays pour devenir producteurs de TIC, c'est d'avoir un environnement réglementaire plus sécurisant pour les investissements et qui inspire confiance aux utilisateurs. Il faudrait, également, améliorer la connectivité internationale et nationale et faire en sorte que les pôles de développement soient connectés aux TIC. Il faudrait aussi mettre en œuvre des solutions applicables, à même de faciliter l'accès à l'équipement informatique et ce, par la voie d'accès individuel. Dans notre pays, nous avons lancé un projet qui a pour appellation «Un citoyen, un ordinateur, une connexion internet». Ce projet, qui s'étale de 2015 à 2016, vise à garantir l'accès à l'équipement informatique pour quelque 5.000 ménages. Nous avons, de même, tablé sur la connectivité collective ou communautaire qui permet de créer des cybercentres adaptés aux besoins d'un village par exemple. Il faudrait aussi travailler sur le contenu afin que ce dernier soit adapté à l'utilisateur et qu'il ne soit pas purement importé. Nous avons dans tous nos pays des richesses culturelles immenses qui pourraient être mises en ligne. La Tunisie est un excellent exemple dans la vente en ligne des produits de l'artisanat. Sauf qu'il y a d'autres produits tunisiens qui ont besoin d'être vendus en ligne. Certes, la Tunisie est une destination touristique. Mais il y a beaucoup de monde qui ne s'y rende pas. Il faudrait, par conséquent, montrer toute la richesse de la Tunisie au monde entier, notamment aux Brésiliens, aux Chinois et autres. Ce serait une très bonne chose que ces personnes puissent acheter un produit d'artisanat tunisien via le Net. Il faudrait, en outre, utiliser les TIC dans les domaines de l'éducation et de la santé, d'une manière adaptée à nos besoins spécifiques. Il y a une nécessaire adaptation que nos pays devraient réussir. Il est évident que si nos jeunes sont bien formés, nous arriverons à devenir des contributeurs aux TIC, à fabriquer des applications, des contenus, nous commençons petits mais avec une ambition tellement grande aussi bien en Tunisie qu'en Côte d'Ivoire». Le problème relatif à la protection manquante des données personnelles intrigue la communauté internationale. Quelle est l'expérience ivoirienne en la matière ? Notre objectif à tous c'est de développer les TIC, mais en créant un environnement de confiance. Sans cela, les utilisateurs décrochent rapidement. Nous publions chaque jour, par les SMS et les mails que nous envoyons des informations personnelles qui génèrent des traces. Et ces mêmes traces peuvent être utilisées contre nous. L'objectif consiste à éviter tout cela. En Côte d'Ivoire, nous avons établi, en juillet 2013, la loi sur la protection des données personnelles. Notre législation compte aussi une loi sur la lutte contre la cybercriminalité ainsi qu'une loi sur le commerce électronique. Ces lois permettent de sécuriser l'utilisation de l'internet, le commerce électronique et favoriser l'écosystème des TIC dans notre pays. Nous pensons que la Tunisie dispose d'un cadre proche de celui-ci. Et si ce n'est pas le cas, nos pays n'ont d'autres choix que de s'adapter à cette évolution des TIC.