La confusion qui caractérise la scène politique, les attentes des citoyens six mois après l'installation du premier gouvernement de la IIe République interpellent tout le monde. Hassen Zargouni, en tant que sondeur d'opinion et citoyen, donne des éléments de réponse objectifs basés sur son calcul régulier de l'état de l'opinion. Détails. Dans vos analyses quantitatives des frémissements de l'opinion publique, comment se présente la demande politique des Tunisiens ? Il en ressort que le pays vit un malaise profond. Globalement, les ménages ne s'en sortent pas. Les revenus de 600, 700 à 800 dinars ne suffisent plus. Tout indique que les tensions sociales que vit le pays sont, d'une part, justifiées et elles peuvent encore durer. Cela sans compter les cohortes de chômeurs qui se succèdent et qui ne trouvent pas d'issue à leur situation. Par ailleurs, les soubresauts, les signes de révolte dans le Sud, les revendications de type «Winou el petrol», par-delà les possibles manipulations, reflètent un réel besoin d'équité et d'arrimage à l'économie du pays et au besoin d'espérer. En plus, les atteintes ici et là du prestige de l'Etat avec tantôt une attaque d'un poste de Garde nationale, tantôt le blocage d'un train commercial ou de passagers, et les attaques terroristes visant les forces de sécurité sur les routes et dans les campagnes, ou des civils, désormais dans la ville (Bardo), ne sont pas de nature à rassurer le citoyen et à améliorer les indices de confiance auprès de l'opinion publique. Nous avons aussi constaté que l'opinion publique, si elle est relativement satisfaite du rendement du gouvernement en matière de sécurité, elle ne voit rien venir de concret ni sur le plan social, ni sur le plan économique. Les solutions proposées sont-elles à la mesure du malaise que vous décrivez ? Certaines oui, mais cela souffre des incidences du manque d'exécution. En effet, s'il y a une excellente idée mise sur la table, c'est bien l'initiative du dialogue social qui serait sous l'égide de la présidence de la République, mais qui aurait comme cadre l'Assemblée des représentants du peuple. On n'organise plus un dialogue en dehors des institutions devenues pérennes depuis les dernières élections. Ce dialogue devrait être mené entre les partis représentés au sein du Parlement et en présence des forces vives de la nation, les syndicats des travailleurs et ceux des employeurs (Ugtt-UTT-Cgtt, Utica, Conect...). L'objectif souhaité est d'aboutir à un accord rapide, au plus tard début septembre prochain, sur des solutions durables à apporter aux gros problèmes sociaux, que ce soit dans le secteur public ou privé. A ce titre, on peut compter sur l'expertise et le doigté de Mohamed Ennaceur eu égard à sa longue expérience dans le domaine du dialogue social. Pourquoi un dialogue qui aboutirait rapidement à des solutions concrètes ? Craignez-vous la rentrée ? Au-delà du malaise social profond décrit précédemment, le calendrier des ménages tunisiens prévoit après Ramadan les besoins en dépenses de loisirs pendant les vacances, la rentrée scolaire, l'Aïd El Kébir, le tout dans une conjoncture économique des plus difficiles, le manque de recettes touristiques, une campagne céréalière faible (-30% que l'année dernière), une récolte oléicole largement en dessous de la saison dernière, la stagnation des transferts des Tunisiens à l'étranger que nous vivons depuis quelques années déjà, ce qui augure une rentrée difficile socialement et un automne particulièrement rigoureux. Il est à rappeler que l'économie tunisienne connaîtra une croissance inférieure à celle de l'année dernière (entre 1 et 2%). Il faut faire vite et bien. Tous les concernés par ce dialogue social doivent lui consacrer l'été. Vous excluez, contrairement aux attentes de certains milieux gauchisants, le débat sur les choix économiques (modèle de développement). Pourquoi ? Il est évident que la marge de manœuvre sur le plan économique est réduite. En revanche, le gouvernement se doit d'apporter des réponses urgentes au déséquilibre régional et notamment la pseudo-campagne «Winou el petrol». Nous savons tous que des mécanismes de redistribution des richesses directes existent, concernant la production de phosphate, de pétrole ou de gaz à travers la taxe des collectivité locales (TCL) qui a atteint ses limites, et ce, en dépit de son déplafonnement et l'intégration des sociétés offshore dans ce dispositif. Par conséquent, le gouvernement ne doit pas tarder à remplacer ce mécanisme par un dispositif plus adapté dont les fruits seraient perceptibles par les populations bénéficiaires, que ce soit collectivement (réhabilitation des établissements scolaires, de santé, culturels) ou individuellement par des aides directes à même d'améliorer leurs conditions de vie. Pour cela, il faut améliorer la gouvernance locale. Et le modèle de développement devenu un leitmotiv chez certains opposants est-il un sujet d'actualité ? Pas pour l'instant. Il s'agit d'abord de restaurer l'espoir et donner des gages pour une République juste. Les Tunisiens attendent du gouvernement qu'il gère sans faille la lutte contre le terrorisme et garantisse aux citoyens leur totale sécurité. Ils exigent une autorité juste qui exclut tout passe-droit. Bien plus, les Tunisiens ne cherchent que l'amélioration de leur niveau de vie par une pression effectuée sur les prix et la création d'emplois, notamment au bénéfice des jeunes. La discussion du code d'investissement sera le bon moment pour parler du modèle de développement, d'autant plus que le gouvernement a déjà promis de mettre tout ça sur la table au moment du débat sur le prochain code qui se veut participatif.