La décision de frapper militairement le groupe Etat islamique en Syrie constitue un tournant dans la politique jusqu'à présent très ambivalente d'Ankara, mais la Turquie court aussi le risque de représailles, et de voir les Kurdes tirer profit de cette nouvelle donne, estiment des experts. L'aviation turque a lancé hier son premier raid aérien contre des positions jihadistes en territoire syrien, rompant avec une retenue qui alimentait les suspicions sur l'attitude d'Ankara. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (Osdh), les frappes turques ont tué 9 combattants jihadistes. «Le signal est politique tout autant que stratégique», estime Michael Stephens, de l'antenne au Qatar du Royal United Services Institute (RUSI), un centre de réflexion britannique. En restant l'arme au pied face à la progression de l'EI, «les Turcs étaient arrivés à un point où leur réputation était quelque peu entachée. L'Etat islamique est devenu trop important pour que la Turquie puisse continuer de faire mine de l'ignorer», ajoute-t-il. Pour Didier Billion, de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, cette intervention «signifie que la Turquie entre réellement dans la coalition» internationale menée par les Etats-Unis pour lutter contre l'EI en Irak et en Syrie, dont Ankara était jusqu'à présent un partenaire discret. «La Turquie donnait jusqu'à présent la priorité à la lutte contre les forces du président Assad plutôt que l'Etat islamique. Les développements des derniers jours suggèrent que cela change», affirme Ege Seckin, spécialiste de la Turquie basé à Londres, dans une analyse diffusée par l'institut d'études géopolitiques IHS.