Jamais un projet de loi n'a suscité autant de polémiques jusqu'à la mobilisation de la rue que celui portant sur la réconciliation économique. L'ancien ministre des Affaires étrangères, sous le règne de la Troïka, Rafik Abdessalem, a plaidé, en sa qualité de président du Centre des études stratégiques et diplomatiques (Csds), pour un dialogue national assimilé à celui instauré en politique qui devrait aboutir à un consensus économique censé favoriser un climat d'affaires propice. Cette idée, qui semble avoir fait son chemin dans le camp nahdhaoui, deuxième parti au pouvoir coalisé, a été, ainsi, avancée lors d'un forum de discussion organisé, samedi, à l'initiative du Csds, sur le thème « réconciliation économique et processus de la justice transitionnelle ». Dans son allocution d'ouverture, Rafik Abdessalem s'est imposé en activiste de la société civile défendant l'initiative législative du président de la République, Caïd Essebsi, annoncée pour la première fois, en mars dernier, lors de la fête de l'Indépendance. Mais, de son avis, sa concrétisation devrait avoir lieu dans le cadre du processus de la justice transitionnelle, sous la supervision de l'Instance vérité et dignité. Et d'ajouter que le choix de la réconciliation qui a été, bel et bien, une option politique devrait l'être ainsi, en cette conjoncture économique très délicate. Toutefois, commente-t-il, il y a eu deux positions partisanes catégoriques dont l'une soutient le projet de loi, l'autre est carrément contre. Or, d'après lui, toutes les deux n'expriment pas parfaitement l'opinion tunisienne. Certes, l'alternative consiste en une demi-solution que formulent ainsi les différents points de vue. Autant dire approuver ce projet, tout en réajustant son texte. Car, la réconciliation économique doit également s'inscrire dans la logique du consensus politique. « Un tel projet ne doit pas être examiné en dehors du contexte de la justice transitionnelle. L'Instance vérité et dignité, seul mécanisme à qui est confiée cette mission, est en mesure de relever ce défi... », riposte M. Chekib Derouiche, ancien porte-parole du département du ministère de la Justice transionnelle. Levée de fonds conséquente Dans son intervention, l'économiste Fayçal Derbel a évoqué le projet et ses répercussions sur l'économie nationale, qualifiant cette initiative des plus polémistes. Pesant le pour et le contre, l'expert a abordé la question de par ses avantages et ses inconvénients. Dans le cas présent, cette manière de réconciliation est accusée de violation de la Constitution, d'avoir la mainmise sur le principe de la justice transitionnelle et de blanchir la corruption. Alors que son refus fait craindre l'impunité totale. Et là, l'on se trouve face à un dilemme avec la restitution de l'argent mal acquis, sans tourner la page du passé. Pour être au juste milieu, deux propositions sans trois : soit amender le projet de loi en question afin qu'il s'adapte à la démarche de la justice transitionnelle, soit restructurer la commission de réconciliation et d'arbitrage au sein de l'IVD pour la doter d'un plein pouvoir. Qui sont les concernés ? Ce sont les fonctionnaires suspects de l'Etat, les hommes d'affaires corrompus et les crimes de change. Mais la question qui semble la plus intéressante pour l'opinion publique, c'est de savoir l'ampleur des fonds spoliés que rapportera une telle réconciliation économique aux caisses de l'Etat? Certes, l'enveloppe serait conséquente par rapport au taux de croissance à réaliser. Rapport de la Banque mondiale à l'appui, le manque à gagner du fait de la corruption s'élève à 1,2 milliard de dollars. Les statistiques de l'Institut arabe des chefs d'entreprise révèlent que les recettes seront de taille, à hauteur de 1,8% du PIB. Pour être efficace, M. Derbel a indiqué que certains amendements devraient être introduits sur le texte de ce projet de loi. « Si j'étais député à l'ARP, je ne voterais pas en sa faveur, à condition qu'il fasse l'objet d'amélioration », déclare-t-il. De son côté, le chef du bloc parlementaire d'Ennahdha, M. Noureddine Bhiri, partage l'avis de son collègue Rafik Abdessalem. Il est pour le principe de la réconciliation, mais dans un esprit de justice transitionnelle équitable, loin des velléités vindicatives.