La compétition renie les frontières entre les genres. Les compétiteurs aussi. Gabès, ville du sud tunisien, unique oasis maritime au monde, catastrophée par la pollution d'un groupement chimique et pas une seule salle de cinéma. C'est dans ce dédor que vient de naître le festival international du film arabe de Gabès (Fifag), qui se tient dans la ville et sa région du 14 au 18 octobre. L'association Joussour, organisatrice de la manifestation, présidée par le critique de cinéma Mahmoud Jomni, a, de fait, relevé le grand défi de mettre sur pied ce nouvel élément du paysage cinématographique tunisien et arabe, et de ramener le public aux projections de films de différentes sensibilités artistiques. Le complexe culturel de Gabès a accueilli la cérémonie d'ouverture, le 14 octobre, et accueille les projections des films de la compétition, une dizaine de courts-métrages et une dizaine de longs-métrages venus d'une douzaine de pays arabes. Dans la compétition, on ne distingue pas entre le documentaire et la fiction. Une tendance qu'adoptent de nombreux festivals de par le monde, depuis que les frontières entre les deux genres s'affinent. C'était également le propos lors du colloque organisé dans le cadre du festival le 16 octobre, animé par l'universitaire Kamel Ben Ouanes et intitulé «le documentaire et la fiction sont-ils en état de complémentarité ou de rivalité», avec les intervenants, critiques de cinéma ou universitaires, Ahmed Boughaba du Maroc, Walid Chemaiet du Liban, Nabil Hajji du Maroc et Ridha Ben Salah de Tunisie. Le film d'ouverture a été choisi afin de rendre hommage au combat du peuple palestinien. «When I saw you», deuxième long-métrage d'Annemarie Jacir, sorti en 2012, a été déjà projeté lors des Journées cinématographiques de Carthage de la même année. Il raconte le périple d'une mère et son enfant, appartenant à la deuxième vague de réfugiés après 1948, celle de 1967. Campé par Ruba Bilel dans le rôle de la mère, le film a été projeté en présence de la comédienne palestinienne qui fait partie du jury longs-métrages du Fifag, aux côtés de la productrice tunisienne Dorra Bouchoucha et de le monteuse tunisienne Kahena Attia. Les films que ce jury et le public de Gabès ont vu pendant les projections au complexe culturel sont éloquents sur la production cinématographique du monde arabe des deux dernières années. Du noir et blanc à la couleur, du classique à l'expérimental, chacun des réalisateurs dompte le langage cinématographique sous son œil et sa caméra. Le Syrien Mohamed Malas raconte la guerre dans son pays dans Echelle pour Damas à travers la violence symbolique et l'effet du conflit sur le destin et la psychologie de ses personnages. Ces derniers cohabitent dans une grande maison traditionnelle de la Medina de Damas et sont comme une micro-société qui représente la déchirure du grand pays. Références poétiques et littéraires, scène de théâtre, vidéoprojecteur, reflets dans l'eau et dans le miroir, portent à l'écran une mise en abyme où Malas, auteur de films depuis les années 70, est fidèle à une démarche classique tout en inscrivant son propos dans un langage cinématographique plus contemporain. La mise en abyme est également fort présente dans l'œuvre du jeune réalisateur marocain Hichem Lasri qui, après C'est eux les chiens, livre un film sombre où il ne ménage pas sa société «qui considère les êtres humains comme des animaux et les animaux comme inexistants». Des partis pris comme le noir et blanc, conjugué à des trouvailles d'objets et de symboles dans le cadre à couper le souffle, hissent ce jeune réalisateur au rang de l'un des auteurs les plus intéressants du monde arabe. Un Xavier Dolan marocain au cinéma aussi étonnant que disjoncté. La compétition, entre courts et longs-métrages, continue à livrer ses secrets jusqu'à ce soir, où le palmarès sera livré. A suivre!