Les visites d'Etat qu'effectue le président de la République, M. Béji Caïd Essebsi, au Koweit et au Bahreïn tranchent avec l'ambiance empoisonnée des derniers mois. On y renoue, un tant soit peu, avec la haute diplomatie, voire la diplomatie agressive. Des accords économiques et militaires sont signés, des prêts à des conditions avantageuses sont consentis, des contacts politiques cordiaux sont mis en avant. Intéressant, pourrait-on s'empresser de conclure, hormis quelques bémols. En effet, le président de la République est allé au Golfe avec seulement des membres de son cabinet, en plus du ministre des Affaires étrangères, M. Khémaïs Jhinaoui. Il n'y a aucune trace d'hommes d'affaires ou de représentant de la centrale patronale, l'Utica. A titre de comparaison, une cinquantaine de dirigeants d'entreprises ont accompagné le président français M. François Hollande lors de sa dernière visite en Inde (du 24 au 26 janvier). S'inscrivant volontiers dans la lignée du président Bourguiba, Béji Caïd Essebsi hérite de la faiblesse chronique du premier président de la République tunisienne en matière économique. Mais Habib Bourguiba s'était quand même entouré d'hommes d'affaires et d'économistes chevronnés tels MM. Ferjani Belhaj Ammar, Hédi Nouira, Azzouz Lasram, Mansour Moalla et bien d'autres. Et pourtant, paradoxalement, l'ère Bourguiba (1956-1987), malgré ses hauts et ses bas, était l'ère des Pères fondateurs. Mais aujourd'hui, on a l'impression qu'il faille réinventer la roue en quelque sorte. Quitte à caresser la quadrature du cercle. Deuxième constat, on attend toujours la visite du chef de l'Etat, ou du moins du ministre des Affaires étrangères au Maroc, ou de leurs homologues marocains en Tunisie. On a l'impression que l'axe Tunis-Rabat bat de l'aile. Pourtant, il est prioritaire pour la diplomatie tunisienne, au même titre que l'axe Tunis-Alger. Lors de l'exercice de M. Taieb Baccouche au département des Affaires étrangères, la diplomatie tunisienne a perdu de son lustre. Témoin une seule visite dans le cadre du bilatéral, effectuée alors par le chef de la diplomatie dans les pays arabes. On avait même réussi à perpétuer la mauvaise prouesse des gouvernements de la Troïka : celle consistant à être une erreur composée plutôt qu'une synthèse et d'avoir tout le monde sur le dos. Aujourd'hui, la vapeur doit être renversée. Il est temps de retrouver les fondamentaux de la diplomatie tunisienne. Et de redoubler de visites fructueuses, y compris et surtout dans le bilatéral. M. Khémaïs Jhinaoui a un bon profil de diplomate. Sa longue carrière à Moscou, Londres et ailleurs en atteste. Il lui reste cependant à prouver que c'est un bon ministre des Affaires étrangères. Parce que ceci ne découle pas forcément de cela. Et puis, tout compte fait, le président Béji Caïd Essebsi gagnerait à resoigner sa propre image. La haute diplomatie pourrait y parer. L'image du chef de l'Etat a été profondément écornée ces derniers mois. Son engagement au premier degré dans l'âpre conflit scissionniste opposant des membres du parti Nida Tounès y a été pour beaucoup. Le cabinet présidentiel s'y est retrouvé impliqué au premier degré, qui plus est en faveur du clan mené par le propre fils du président de la République. Les trois dernières sorties médiatisées de Béji Caïd Essebsi ont plutôt été contreproductives. Il y est apparu fatigué, un tantinet blasé, le regard vitreux et la mine terne et amorphe. Il n'a guère convaincu, y compris ses invétérés séides. Aujourd'hui, bien au-delà de la diplomatie proprement dite, la Tunisie doit retrouver ses repères, ses fondamentaux. La Tunisie doit rentrer chez elle. Et des gens de la trempe de Béji Caïd Essebsi doivent cultiver l'idéal et non point s'abîmer dans la caricature.