La corruption demeure bien au cœur du système politique tunisien. Tout le monde en parle, mais la plupart des protagonistes en profitent. En toute impunité «L'Etat subit des pertes de 25% de la valeur totale des marchés publics en raison de la corruption dans la gestion des achats publics, ce qui représente une dilapidation des fonds publics», a déclaré jeudi M. Chawki Tabib, président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption. Il a précisé que la valeur des marchés publics s'élève à près de dix milliards de dinars. Le même jour, interviewé sur RadioMed, M. Slim Chaker, ministre des Finances, assénait tout de go que «Chawki Tabib parle trop». Le lendemain, le chef du gouvernement décidait une rallonge au budget de l'Instance nationale de lutte contre la corruption. Et ignorait les déclarations de Chawki Tabib, notamment celle faisant état de l'existence de corrompus à des postes-clés de la haute administration tunisienne. En vérité, tout le monde sait. Et tout le monde se tait. Une espèce d'omerta à l'italienne. Les hauts responsables, les principaux dirigeants des partis au pouvoir savent. Certains d'entre eux frayent avec des corrompus et des corrupteurs notoires de compères à compagnons. Ils sont même au cœur de sérieux différends qui traversent tel ou tel parti de la coalition gouvernementale. Sans parler des associations ou des médias qu'ils contrôlent, financent et mobilisent à des fins de brouillage ou de justification. Des questions qui méritent la transparence et la mise au grand jour des moindres péripéties demeurent escamotées. Comme celle de l'attribution, le 22 avril 2016, de l'appel d'offres relatif à la promotion du plan de développement 2016-2020 au groupement Arjil Groupe Altium/Comete Engineering/Jeune Afrique Events. Bien que pointé du doigt, le ministère du Développement et de la Coopération internationale demeure étrangement silencieux. Pourtant, la clarification et la mise au point s'imposent. En ces temps de crise, l'économie ne saurait se relever sans un net recul immédiat de la corruption, en attendant son éradication. L'open gov pourrait être mis à profit. Les appels à témoin aussi. Au même titre que la mise en place d'un programme national de lutte contre la corruption. Certes, l'Instance nationale de lutte contre la corruption a cette vocation. Mais il semble bien qu'elle soit déjà en discordance avec la démarche gouvernementale. En somme, tout ce qui est opaque semble présider à nos destinées. L'économie parallèle constitue près de la moitié du PIB, qui s'élève à quelque cent milliards de dinars. Elle constitue une fois et demie le budget de l'Etat. Le terrorisme et le trafic d'armes sont largement inféodés à la contrebande. L'évasion fiscale s'élève à quelque dix milliards de dinars annuellement. La corruption atteint de larges franges de l'administration, atteignant deux milliards de dinars dans les marchés publics. Et la petite corruption est le pain quotidien de près d'un tiers des citoyens. C'est dire aussi la manne considérable que la lutte radicale contre la corruption pourrait générer. Tout en remettant les pendules de l'administration à l'heure de la saine gestion des ressources matérielles et humaines. Autrement, la dialectique tordue de l'être et du paraître n'en finira guère d'empoisonner l'économie et de couvrir la vie politique de son manteau d'infamie. «Faites-nous de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances», a dit le baron Louis à l'adresse de Louis-Philippe en 1830. Aujourd'hui, sous nos cieux, toute bonne politique présuppose la lutte contre la corruption.