La rumeur court sur l'état de santé du président Caïd Essebsi après son absence de la petite lucarne la veille de l'Aïd El Fitr pour les traditionnels vœux au peuple tunisien et le lendemain à la prière de l'Aïd à la mosquée Malek Ibn Anas à Carthage. La rumeur s'est intensifiée après le report, vendredi dernier, de la ratification de la nouvelle feuille de route gouvernementale, issue d'un mois de longues tractations et de réunions-marathons. Report inattendu car au terme de la dernière réunion du lundi 4 juillet présidée par Béji Caïd Essebsi, le document final a, selon le président de la République en personne, recueilli l'approbation de la totalité des membres représentant les neuf parties impliquées dans les négociations autour de l'initiative présidentielle portant sur la mise en place d'un nouveau gouvernement d'union nationale, seul capable, selon son initiateur, de faire face à la grave crise socioéconomique qui plombe les rouages de l'Etat et paralyse le pays. Il ne restait plus que leurs signatures à apposer au document final, ce qui devait être fait vendredi 8 juillet, comme il a été annoncé précédemment. Mais la réunion du 8 juillet s'est, non seulement, tenue sans le président de la République mais n'a eu, finalement, aucune consistance puisqu'elle s'est limitée à quelques retouches apportées au document final (déclarations officielles). Et la rumeur de continuer à courir même après que le président est apparu en chair et en os le même vendredi au soir dans les journaux télévisés, accueillant dans la matinée au Palais de Carthage Mohamed Kilani, secrétaire général du Parti socialiste, lequel a déclaré à l'issue de l'entrevue s'être entretenu avec le président Caïd Essebsi sur la feuille de route en question. Face à la rumeur qui enfle et se fait de plus en plus insistante, le porte-parole de la présidence de la République, Moez Sinaoui, est sorti de son silence, samedi dernier, pour affirmer, à qui veut bien l'entendre, que le chef de l'Etat est en bonne santé, poursuit ses activités normalement et qu'il reprendra, au courant de cette semaine, ses entretiens avec le chef du gouvernement Habib Essid, démentant ainsi officiellement la rumeur. Lynchage vs consensus Que la rumeur soit fondée ou fausse, malintentionnée ou argumentée, porteuse de discordes ou l'expression d'un intérêt à la vie politique, elle est toujours source d'inquiétudes et révélatrice souvent de tentatives insidieuses de déstabilisation du climat général du pays. Et celle-ci est d'autant plus pernicieuse qu'elle vient au moment où le gouvernement actuel et son chef sont mis à mal par un lynchage politique et médiatique, dont les tenants et les aboutissants ne sont réellement connus que par ses fomentateurs, en l'occurrence d'anciens « souteneurs » de Habib Essid au lendemain des élections de 2014. Donc, à un moment où ceux qui s'opposent à ce lynchage, et ils sont nombreux, craignent une démobilisation et une démotivation de l'équipe gouvernementale à même de mettre en péril un pays déjà à la dérive. L'initiative de BCE de mise en place d'un gouvernement d'union nationale, même si elle n'a pas que des adeptes, ne peut aucunement justifier ce lynchage d'autant que son objectif déclaré est la recherche du consensus politique le plus large, en impliquant toutes les tendances, les sensibilités et les orientations politiques et sociales, autour d'un programme et d'une équipe dirigeante capables à l'avenir de sortir la Tunisie de l'ornière. Réduire cette initiative à la mise à mort de la carrière politique d'un homme est une approche vouée d'avance à l'échec car dépourvue de visibilité à long terme et surtout il faut craindre qu'elle ne sorte l'initiative présidentielle de son sillage initial, celui de trouver les vraies solutions aux problèmes qui enfoncent le pays dans la crise économique et l'agitation sociale. Des problèmes, somme toute, qui relèvent de la responsabilité de toute la classe politique, laquelle a prouvé jusqu'à ce jour son incapacité à les cerner et à les résoudre, quels que soient les partis ou les coalitions au pouvoir. Les vœux du président Le véritable couac dans toute cette affaire, et qu'il a fallu éclaircir auprès des sources proches du président de la République, est l'annulation, ou l'absence, du rituel consacré aux vœux du président à la nation à l'occasion de la fête de l'Aïd. A ce sujet, le département de la communication a opposé un démenti clair et précis et fait une précision indiquant que les vœux ont été effectivement adressés au peuple tunisien lors de la réunion de clôture des concertations autour du prochain gouvernement, tenue lundi 4 juillet et présidée par Béji Caïd Essebsi. Au cours de cette réunion, dont les images ont été transmises par les caméras des chaînes de télévision, le président a été informé des résultats de l'opération d'observation du croissant de l'Aïd. « Aussitôt informé, le président s'est adressé aux Tunisiens, via les caméras, leur souhaitant une bonne fête et, par la même occasion, a rendu un vibrant hommage aux forces armées et sécuritaires pour le travail colossal accompli au cours de ce mois de Ramadan 2016, qui a été le premier depuis 2011 à n'enregistrer aucun attentat et aucune menace terroriste, ainsi qu'aux cadres de l'administration tunisienne, tous secteurs confondus, pour leur abnégation au travail», apprend-on du côté de la présidence de la République. Une chose est sûre, malgré tout : l'absence de la traditionnelle et solennelle adresse du président de la République présentant ses vœux au peuple tunisien à l'occasion de l'Aïd El Fitr n'est pas passée inaperçue. Le mois de Ramadan aura été en effet, cette année, certes politiquement agité, mais calme du point de vue sécuritaire. Non pas que le terrorisme est désormais loin derrière nous, mais nos forces armées et sécuritaires ont incontestablement gagné en maturité, en confiance et en savoir-faire au cours des cinq dernières années au point de réussir à contrer une multitude de menaces d'attentat dans le silence, la discrétion et la vigilance extrême. Ce qui justifie le vibrant hommage rendu par le président de la République aux forces sécuritaires. On n'en attend pas moins des politiques. Ils sont redevables aux Tunisiens du même engagement et du même dévouement à la patrie. S'embourber dans des magouilles partisanes sans fin et sans intérêt effectif pour les Tunisiens n'est que gaspillage de temps, d'énergie et d'argent public. L'engagement des parties signataires de la feuille de route est, à ce titre, désormais requis, plus que toute autre chose, afin que le programme économique et social d'union nationale, issu du dialogue et du rapprochement contre nature et initialement improbable de toutes les parties, soit appliqué à la lettre dans le respect de la constitution, des lois et de l'intérêt général. Chaque partie signataire, parti politique ou organisation nationale, est tenue également de s'engager à assumer la responsabilité de l'application de la feuille de route par tous ses militants et adhérents. L'heure n'est plus aux voix discordantes ni aux déclarations tapageuses et encore moins aux enchères politiciennes. Raison pour laquelle il serait souhaitable que les tractations autour de la composition du prochain gouvernement ne se transforment pas, encore une fois, en une guerre de cent ans. Ceux qui détiennent le pouvoir de décider pour tous les Tunisiens sont appelés à faire preuve d'intelligence, de responsabilité, de retenue, de sagesse et d'altruisme, pour le bien de la nation, sinon les Tunisiens, qui font encore preuve de patience, voire d'indulgence, à l'égard de leurs gouvernants sauront se faire entendre au moment opportun.