Un homme, un parcours, un livre Demain vendredi, à l'ambassade de Tunisie à Paris, Béji Caïd Essebsi, l'homme et non pas le président de la République, présente son livre devant un panel de journalistes français. Un livre qu'il signe en son nom propre, et qu'il a voulu un véritable plaidoyer pour la Tunisie : un plaidoyer pour un auditoire qui ne sait pas tout de ce petit pays qui voit grand, qui ignore peut-être l'essentiel de cette nation et de ce peuple qui sont les nôtres, et qui n'a peut-être pas vraiment compris ce qu'était ce qu'on appelle «l'exception tunisienne». Dans son avant-propos, Arlette Chabot, qui a eu l'initiative et le privilège de provoquer cette série d'entretiens, écrit : «Il faut des hommes sages pour accompagner un peuple qui accède à la liberté, des hommes de conviction pour guider onze millions d'hommes et de femmes sur le chemin de la démocratie» L'homme sage Béji Caïd Essebsi est cet homme sage. Il est celui qui a compris que si nous avons acquis la liberté, la dignité est encore à conquérir. Et que les défis à relever, «construire un nouvel Etat, assurer sa pérennité, redresser son économie, régler le problème du chômage des jeunes, défis auxquels venait s'ajouter le défi terroriste», tous ceux qu'il énumérait avec son langage percutant à son interlocutrice, tous ces défis nous concernent certes, mais pas seulement. Car là est le credo que Béji Caïd Essebsi n'a cessé de marteler, qui est sa profession de foi et le message qu'il continue d'envoyer vers l'Occident et nos amis des autres rives. Plaidoyer pour la Tunisie «Nous aider, c'est vous aider vous-mêmes... Ce plaidoyer pour la cause de mon pays se veut surtout un rappel que notre destin en Méditerranée, et au-delà de cet espace, est inévitablement en partage». Alors cet homme sage, mais aussi patient, tenace, héritier et non copie de Bourguiba et de sa politique du pas à pas, a accepté l'insistance amicale d'Arlette Chabot et s'est soumis au jeu des questions-réponses. Dans ce livre, ce témoin privilégié de l'Histoire de son pays, qui a occupé, à différentes époques, les postes les plus stratégiques, explique la spécificité tunisienne, son ancrage ancien dans la modernité et le mouvement réformiste, ses choix prioritaires en matière d'éducation, de santé, les spécificités de son islam, un islam de tolérance ouvert à l'autre. Dans son style pertinent et percutant, dans une langue subtile et incisive, il résume un parcours et une conviction démocratique ancienne. La démocratie est une éthique avant d'être politique «Il ne suffit pas à la démocratie de se dire démocrate ou de se vouloir démocrate. La démocratie n'est pas une leçon à apprendre et encore moins à administrer aux autres. Sur le plan de l'individu, lorsqu'on est au sommet de l'Etat, elle est d'abord épreuve de soi face au pouvoir, face à la puissance et au sens que l'on veut ou que l'on peut lui donner. Elle est épreuve de tous les instants face à la différence, face à la diversité, face à la pluralité et à la relativité des opinions. La démocratie est d'abord une éthique avant d'être une politique. Elle relève surtout de la pratique et c'est pour cela qu'elle se soucie plus de son contexte que des textes». Aidez-vous en nous aidant Et il annonce les cibles de son combat et les sujets qu'il souhaitait exposer dans ce livre de débat : la démocratie bien sûr, la jeunesse, «un devoir d'avenir», «cette jeunesse qui a inventé une révolution moderne, pacifique, civile, féminine, sans encadrement partisan et sans autre slogan que celui de la liberté et de la dignité demeure largement marginalisée, et mérite d'être entendue, au risque de la voir conduire une nouvelle fronde dont personne ne peut prévoir ni l'ampleur ni l'étendue». Enfin celui par lequel nous avions commencé ce propos : interpeller la communauté internationale. Lui rappeler que «ce qui se joue en Tunisie, ce n'est rien moins que l'avenir de la liberté et de la démocratie dans le monde arabo-musulman, l'avenir des relations Orient-Occident, le développement et la paix en Méditerranée et dans le monde. Des défis stratégiques pour l'Europe comme la lutte contre le terrorisme, l'immigration clandestine ou la stabilité régionale ne peuvent être relevés si nous venons à échouer en Tunisie». Alors tout à l'heure, quand il présentera son livre, plus tard, quand il sera lu, commenté, analysé, l'homme sage sera-t-il entendu ? Son message sera-t-il perçu à sa juste mesure ? Nous ne pouvons que l'espérer.