Sans argent, le terrorisme s'effondre. La Tunisie l'a appris dans la douleur. Aujourd'hui, les autorités s'attellent à fermer chaque brèche, à surveiller chaque transfert, pour qu'aucun dinar ne puisse plus nourrir la violence. Le protocole signé entre le CMF et la Cnlct pourrait bien devenir un tournant. La Presse — Un protocole d'accord a été signé le 17 juillet 2025 entre le Conseil du marché financier (CMF) et la Commission nationale de lutte contre le terrorisme (Cnlct). Ce partenariat s'inscrit dans le cadre du renforcement des efforts nationaux visant à lutter contre le financement du terrorisme et la prolifération des armes, à travers une coordination accrue entre les différentes institutions concernées. Selon le communiqué du CMF, l'accord vise à instaurer une coopération technique et opérationnelle entre les deux parties, tout en consolidant la supervision et le contrôle conjoints. Il contribuera à améliorer l'efficacité du dispositif national des sanctions financières ciblées, dans le strict respect des normes internationales et des recommandations du Groupe d'action financière (Gafi). Une évaluation régionale en ligne de mire Ce protocole s'inscrit également dans les préparatifs de l'évaluation mutuelle qui concernera la Tunisie durant la période 2025–2026, sous l'égide du Groupe d'action financière pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (Menafatf). En amont de cette échéance, le CMF avait déjà diffusé, le 5 juin 2025, un questionnaire à destination des institutions financières sous sa tutelle, afin d'évaluer leur perception des risques liés au financement de la prolifération des armes de destruction massive, conformément aux recommandations n°1 et n°7 du Menafatf. L'argent, nerf du terrorisme Au-delà de la dimension réglementaire, c'est l'enjeu fondamental du financement des activités terroristes qui est au cœur de ce protocole. Car sans ressources financières, le terrorisme ne peut se structurer ni se déployer. La Tunisie en a tragiquement fait l'expérience : attentats meurtriers, recrutement et envoi de jeunes dans les zones de conflit, fragilisation des institutions publiques... Tous ces phénomènes ont été facilités, voire rendus possibles, par des flux d'argent non maîtrisés, opaques, ou détournés. Associations, flux étrangers et zones grises Un point de vulnérabilité majeur réside dans la réglementation des associations. Contrairement aux partis politiques, celles-ci sont autorisées à recevoir des fonds de l'étranger, ce qui a ouvert des brèches utilisées par des réseaux extrémistes pour financer leurs activités, recruter, former et parfois armer. Si de nombreuses associations œuvrent pour le bien public, certaines ont pu servir de façade à des groupuscules qui ont ensuite semé la terreur sur le sol tunisien. Des modèles étrangers pour éclairer la voie tunisienne A ce titre, plusieurs pays offrent des expériences utiles pour la Tunisie dans sa quête d'un système de contrôle financier rigoureux et durable. La France, par exemple, a instauré un mécanisme de gel des avoirs administratifs extrêmement réactif, permettant de bloquer immédiatement des fonds suspects sans attendre une décision judiciaire. Le Maroc, dans un contexte régional comparable, a progressivement renforcé son arsenal juridique et institutionnel, tout en imposant des obligations accrues de transparence aux associations. En Suède, la multiplication des contrôles sur les financements étrangers reçus par les ONG a permis de mieux encadrer les dérives, tandis que Singapour se distingue par une approche technocratique et très centralisée, appuyée sur des outils numériques avancés pour surveiller les flux financiers. Tous ces pays ont en commun d'avoir compris que la lutte contre le terrorisme commence souvent par une traque invisible mais décisive de l'argent, et que cette bataille exige autant de volonté politique que de compétence technique. La Tunisie, en s'inspirant de ces modèles, tout en tenant compte de ses propres spécificités, peut bâtir un système de vigilance efficace, crédible et pérenne. Un système national robuste à l'épreuve des crises L'objectif désormais clairement exprimé par les autorités est donc d'instaurer un système national de vigilance financière à toute épreuve, un dispositif qui ne vacille ni face aux crises politiques ni sous le poids des intérêts partisans ni devant les pressions extérieures. Car il ne s'agit plus seulement de se mettre en conformité avec des standards internationaux, mais de protéger l'essentiel : la paix, l'unité nationale, la confiance des citoyens dans leurs institutions. Ce système, s'il est bien pensé et solidement appliqué, devra fonctionner comme un rempart infranchissable, traquant le moindre flux douteux, qu'il provienne d'un don déguisé, d'une association instrumentalisée, ou d'un compte offshore savamment dissimulé. Aucun canal ne doit échapper à cette vigilance, car chaque dinar mal orienté peut devenir une balle, un départ vers la guerre, une brèche dans la République. C'est un combat silencieux, technique, parfois ingrat, mais vital. Un combat pour la souveraineté, pour que la Tunisie n'ait plus jamais à enterrer ses enfants au nom d'une idéologie financée dans l'ombre. Pour que l'argent redevienne un instrument de vie, de développement et de justice et non plus un carburant alimentant la haine. Et pour que plus jamais le doute ne s'installe, l'Etat est là, lucide, ferme, et déterminé à ne rien laisser passer.