Membre actif de la société civile, auteur et metteur en scène de théâtre, Salah Hammouda est le fondateur de l'espace culturel Al Mass'art depuis 2010 dont l'objectif est de rapprocher la culture des quartiers populaires. Entretien. En tant que troupe théâtrale, quel est l'âge d'Al Mass'art aujourd'hui? Aujourd'hui, cette troupe a environ 11 ans. C'est la troupe qui a créé «Znouss» ou «Chwaten el hokka», entre autres, et cela bien avant le 14 janvier 2011. Notre dernière création était «Tant de mer entre nous», une coproduction avec le théâtre Maralav de Zurich. En tant qu'espace d'art, Al Mass'art a vu le jour depuis 2010. Notre concept de départ était de rapprocher l'art des habitants des quartiers populaires, de faire dans la proximité culturelle avec des créations qui émanent de la réalité de ces habitants. On a remarqué que le public assiste à nos spectacles lorsqu'on se reproduit à Tunis dans les lieux consacrés pour ce genre de choses, mais quand on se déplace dans les régions ou les quartiers, on se rend compte que le public fait défaut. De là on a eu l'idée de créer un espace culturel dans un quartier populaire. C'est ainsi qu'on s'est lancé dans notre aventure. Nos activités sont principalement destinées aux enfants et basées sur des ateliers pendant toute la semaine et durant toute l'année. C'est une activité qui a attiré un grand public. On a commencé à intervenir dans les quartiers de Bab Assal, Jbel Lahmar et les quartiers environnants, puis le rêve s'est agrandi. Aujourd'hui, on fait des ateliers (théâtre, cinéma, musique ) en collaboration avec les centres d'intégration sociale de Mellassine, Douar Hicher, Naassen, La Soukra, Zahrouni... Nous avons également introduit la technique de «l'imaginaire du corps» et c'est une expérience unique en Tunisie. Il ne s'agit pas d'ombres chinoises, mais ce sont les ombres des corps d'enfants qui racontent une histoire... C'est vraiment magique. Al Mass'art organise également un événement culturel mensuel qui porte le nom de «Escales», ainsi que le festival «Notre quartier est artiste». Les bourgeons de « Al Mass'art», c'est votre actualité du 12 au 16 avril... Il s'agit d'un festival pour les enfants qui en est à sa cinquième édition et où les enfants interprètent les pièces qu'ils ont préparées dans le cadre des ateliers, mais aussi dans d'autres formes où ils content leur réalité à leur manière... Il y a aussi la technique du «petit bouffon» et la projection du petit film du groupe d'enfants qui évolue dans l'atelier cinéma, ainsi que le spectacle de la troupe «l'imaginaire du corps». Pendant cette manifestation, les enfants assistent aussi à des spectacles faits par des professionnels qui ont travaillé sur le théâtre pour enfants. Et pleins d'autres surprises... Comment évaluez-vous l'expérience de votre espace sept ans après sa création ? Je pense que c'est une expérience qui nous a surpris nous-mêmes. On ne s'attendait pas à une demande aussi grande et aussi urgente de culture dans les quartiers populaires...Cela a dépassé nos attentes même si on n'est pas relayés souvent par les médias...Mais à travers notre page Facebook, les gens nous suivent et se tiennent informés. On se retrouve en train d'encadrer plus de trois cents enfants et adolescents, ce qui dépasse nos capacités et nos moyens très limités. Je précise qu'on travaille avec une tranche sociale très difficile qui n'a pas eu que des expériences heureuses dans la vie... C'est pour cela que nous accordons une grande importance à l'encadrement. Donner des représentations dans les régions qui sont privées de culture est-il suffisant pour sauver toute une génération de l'obscurantisme ? C'est bien, mais c'est insuffisant ! Il y a des artistes qui se déplacent avec leurs spectacles ou leurs films dans les régions défavorisés. C'est une initiative que je salue, certes, mais il faut penser à créer des noyaux issus de ces régions et qui diffusent continuellement la culture justement dans leurs régions. Je cite l'exemple d'Adnane Hellali du côté de Kasserine qui assure une continuité et plante une graine dans une terre qui risque d'être hostile. Vous avez refusé la subvention de l'Etat pour les espaces culturels privés dernièrement... En effet ! Cela ne veut pas dire qu'on vit dans le luxe, mais c'est une position de principe, justement pour que cette subvention soit revue en fonction de chaque espace et de ses propres besoins et de ses activités. Il serait plus juste d'accorder, à mon avis, à un espace qui emploie plus de personnel et produit plus d'activité, une subvention supérieure à un espace qui n'emploie que deux personnes dont l'une pour faire le ménage... C'est une très bonne chose si l'Etat accorde ces subventions et nous apprécions cela, mais le problème, c'est qu'il n'y a aucune logique ni paramètres pour la distribution de ces subventions. Avec Habib Belhadi, nous avons créé une commission sectorielle pour revoir ces conditions et ces paramètres et aboutir à une organisation claire pour le métier qui va durer dans le temps quelle que soit la personne qui est à la tête du ministère des affaires culturelles. Nous ne voulons pas obtenir des choses qui disparaissent avec l'arrivée d'un nouveau ministre, comme cela s'est passé dernièrement... Autre chose à préciser, c'est qu'il faut créer une cartographie pour les espaces culturels pour que ça ne pousse pas de manière anarchique ouvrant ainsi la porte à des gens qui profitent des subventions de l'Etat sans rien donner en retour. Il y a des gens qui ne sont pas porteurs d'un projet, qui n'ont pas de concept fertile et qui ouvrent des espaces culturels rien que pour avoir des subventions. Pour certains, cette opération devient bien lucrative. Quels sont les rapports d'un espace comme le vôtre avec les sponsors privés ? C'est une grande problématique qui est liée plutôt à une prise de conscience que nos hommes d'affaires n'ont pas encore acquise. Ils n'ont pas compris l'importance de soutenir le secteur culturel pour former une génération meilleure. Même si l'Etat prélève les subventions allouées pour la culture de leurs impôts, les hommes d'affaires continuent à mettre de l'argent dans le football, par exemple. Même avec ces incitations financières, ils ne daignent pas jeter un regard à la culture...