La vieille classe politique se sent largement dépassée, en même temps que la génération montante voit autrement plus grand. Ce qui a créé un gap générationnel... Qui peut convaincre nos jeunes, déjà déçus, de prêter oreille à nos partis ? Aussi, les protestataires à El Kamour, à Tataouine, à Kairouan, à Kasserine ou au Kef ont-ils encore confiance dans la classe politique ? Absolument pas, à n'en point douter. D'ailleurs, certains chefs de parti sont eux-mêmes passés aux aveux. D'autres ont fait leur mea culpa. Frustrés, ces jeunes, constamment insatisfaits, vont-ils donner leur voix à ceux qui ne les écoutent pas ? L'on pense que la réponse est claire comme de l'eau de roche. M. Slaheddine Jourchi, homme de médias, vice-président du Centre d'étude de l'islam et de la démocratie (Csid) semble partager le même avis. Lors d'une conférence à son siège à Tunis, intitulée « Les mécanismes d'incitation des jeunes à la participation dans la vie politique », il a même considéré qu'une scène partisane sans les jeunes n'est qu'un cercle vicieux, où se disputent les lobbies du pouvoir et les magnats de la finance. D'après lui, on est dans le paradoxe des faits : « Les jeunes qui avaient provoqué la révolution et contribué, dans une large mesure, à la chute de l'ancien régime se sont retrouvés hors du jeu politique ». Grande déception ! Et l'écart n'a cessé, ces dernières années, de se creuser de plus en plus. Les législatives de 2014 venaient, poursuit-il, achever un espoir à peine né au grand jour. La boucle est bouclée en quelque sorte. Face à une telle réticence, à qui incombe la responsabilité ? Dissident de l'UPL, devenu un des leaders de Nida Tounès, l'ex-ministre du Commerce, M. Mohsen Hassen, s'est prononcé sur la question, sans ambages. Il a commencé par faire parler des chiffres officiels, révélateurs d'un faible taux de participation des jeunes à la chose publique : « Leur adhésion partisane ne dépasse pas les 2,7%, la présence aux urnes étant de 22%, avec 3% de représentativité sur les listes électorales ». Ainsi le constat en dit long. Pourquoi ? Et M. Hassen d'avouer que la population jeune a tout à fait raison, étant donné que le paysage politique demeure désolant, à coups de divisions et de conflits internes. D'autant que plusieurs partis n'arrivent pas, jusqu'ici, à tenir leurs congrès, ce qui porte atteinte au principe de la démocratie. Idem, le double discours et l'extrémisme politique auquel s'ajoute le déficit de communication à l'échelle de la majorité des partis. Cela étant, le désespoir s'installe dans le camp des jeunes, déjà essoufflés sous l'effet d'un chômage endémique situé à 15,6%. De même, il a pointé du doigt le système éducatif et universitaire. Les solutions qu'il a proposées s'articulent autour d'un « dialogue rationnel » avec les jeunes, la formation politique continue et des programmes électoraux plutôt pragmatiques. Le gap intergénérationnel pose problème M. Jourchi a repris parole, sans mâcher ses mots : « Le mouvement Ennahdha est-il, de son côté, capable de reconquérir la confiance tant de sa structure juvénile de base que celle de toute la jeunesse tunisienne ? ». Et là, M. Lotfi Zitoun, leader nahdhaoui, s'est trouvé contraint d'y répondre. Mais, l'homme n'a pas voulu parler au nom de son parti qui, lui aussi, n'a pas une bonne vision des choses. Surtout, prétexte-il, qu'un tel conflit intergénérationnel n'est pas propre à la Tunisie post-révolution. Cela, à l'en croire, existe dans tout le monde à cause du brusque boom technologique qui sévit partout à travers les réseaux sociaux, en plus d'un aspect politique moderniste. «La vieille classe politique se sent largement dépassée, en même temps que la génération montante voit autrement plus grand. Ce qui crée un gap générationnel», analyse-t-il, précisant que la seconde a des penchants presque apolitiques, optant plutôt pour l'autonomie, la transparence et le pragmatisme. A l'opposé, les partis classiques évoluent essentiellement dans l'opacité, n'ayant pas réponse aux besoins des jeunes. Ceux-ci sont qualifiés de libéraux-conservateurs aussi bien dans leur pensée qu'au niveau des comportements. Pour nos partis, les comprendre ainsi c'est un grand défi. « Qu'on en finisse avec la polémique politique et qu'on fasse circuler de nouveau les richesses du pays, pour céder aux jeunes le passage à la prise de décisions», recommande-t-il en guise de solution. Car, conclut-il, si rien n'est fait d'ici les cinq prochaines années, la situation deviendra intenable. A ses dires, un dialogue sociétal semble aussi très urgent. L'autocritique est de mise Le phénomène jeune est d'autant plus complexe que les partis politiques sont appelés à mieux comprendre, abonde, encore une fois, dans ce sens le vice-président du Csid. Membre fondateur du parti Ettakatol, qu'on et ancien chef de son bloc parlementaire à la défunte ANC lors du règne de la troïka, M. Mouldi Riahi, était, quant à lui, direct et précis. Il a demandé à ce que toute la classe procède à des révisions internes. Et que l'autocritique partisane s'avère de mise. « En ce moment crucial de l'histoire, un tel débat est de taille, mais qui exige audace, franc-parler et beaucoup de sérieux », plaide-t-il, sur un ton engagé. Il importe, ici, de rappeler qu'un tiers de la population tunisienne appartient à la catégorie jeune. Celle-ci, fait-il encore valoir, doit être l'axe central autour duquel gravitent pouvoir, société civile et partis politiques. « L'avenir du pays appartient à lui, et l'après-révolution aussi», avance-t-il. L'essentiel, pour lui, est de savoir comment rendre ces jeunes des acteurs actifs et influents dans la société. « On est maintenant à mi-mandat 2014-2019, et pourtant on ne voit rien venir jusqu'ici. Nos relations avec les jeunes sont encore à la marge», partage- t-il le même avis que M. Zitoun. Quitte à nous exposer, craint-il, à de nouvelles explosions sociales. Des bombes à retardement ! « Nous, au sein d'Ettakattol, sommes en train de nous préparer à notre 2e congrès électif, sur fond de révision des comptes et faire en sorte que les jeunes soient à l'avant-garde. », déclare-t-il. Et d'enchaîner : « Chez nous, leur représentativité est pas moins de 1/3, d'où l'importance qu'il y a de leur accorder une position de prise de décision». Ses recommandations ? Il s'agit, entre autres, de rétablir la relation entre les organisations de la jeunesse et leurs partis de référence, de garantir la liberté d'expression, de fournir l'emploi et d'ouvrir grande la porte à la vie politique. Et que la démocratie ne soit pas un slogan creux, mais un exercice au quotidien. De son côté, Mossâab Ben Ammar, un jeune membre du bureau politique du parti « Al Bina Al magharibi » (l'édification maghrébine) n'a pas laissé passer l'occasion pour jeter l'anathème sur les politiques. Voire de virulentes critiques à leur encontre. Il a nié, en riposte aux déclarations de M. Zitoun, qu'une telle situation se soit généralisée dans le monde entier, citant, ici, l'exemple du jeune candidat français à la présidentielle, ainsi que son homologue canadien. Il a expliqué la réticence des jeunes par la mauvaise impression que l'on donne du paysage partisan. « Nous avons une scène politique malade, sinon agonisante. Nous sommes en face d'un système usé qui continue à être dirigé avec un vieil esprit politique», assène-t-il. Pour conclure, le jeune Ben Ammar reconnaît n'avoir plus confiance dans la classe politique. « C'est une classe morte, immuable». Selon lui, la balle est, désormais, dans le camp des jeunes eux-mêmes pour s'imposer au-devant de la scène.