Par Abdelhamid Gmati Cela ressemble à une boutade mais les chiffres sont là : le taux de diplômés du supérieur au chômage en Tunisie est passé de 15% en 2005 à 31% au cours des cinq dernières années. C'est ce que révèle une étude sur « l'enseignement supérieur, entre transmission du savoir et exigence de l'employabilité » réalisée par le bureau d'études Sigma Conseil et la fondation allemande Konrad-Adenauer. « La probabilité de chômage des diplômés du supérieur est plus élevée que celle de la main-d'œuvre active en général », estime le directeur général de Sigma Conseil, Hassan Zargouni. Essentiellement en cause « la non-conformité de la formation universitaire actuelle avec les besoins du marché de l'emploi ». Le ministre de l'Enseignement supérieur, Slim Khalbous, explique que « l'échec de l'Université lors des vingt dernières années est dû à son manque d'ouverture sur son environnement économique et à l'absence de la culture et de la création ». La Tunisie compte 204 établissements d'enseignement supérieur public qui accueillent près de 300 mille étudiants. Et il s'avère que le nombre de diplômés chômeurs de l'enseignement supérieur est estimé à 262.400 au quatrième trimestre 2016 (31,6%) et à 267.700 au troisième trimestre 2016 (31,9%). Selon le professeur Chokri Mamoghli, « des aberrations font que notre système d'enseignement supérieur soit devenu une machine à fabriquer des illettrés, analphabètes et incultes ». Il explique cela longuement par le système des « notes sup » et « des mémoires de fin de licence appliquée ». Pour lui, ces mémoires sont « une débauche de triche, de plagiat, de «copier-coller», une industrie du trafic démarre chaque année vers le mois d'avril-mai. Un gaspillage de ressources, une saignée pour les finances publiques car il faut bien évidemment rémunérer les enseignants qui encadrent cette mascarade ». Et l'Observatoire tunisien de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique poursuit « sa campagne nationale de sensibilisation contre la fraude aux examens et le plagiat littéraire. Lancée au début de l'année universitaire 2016/2017 sur les réseaux sociaux et dans le milieu universitaire, cette campagne vise essentiellement à sensibiliser les étudiants et les chercheurs aux risques encourus par la triche au cours des examens et du plagiat ». Et pourtant « la Tunisie souffre d'une hémorragie d'universitaires ». Pour le ministre Slim Khalbous, «il faut que ça change ! Des enseignants et des chercheurs tunisiens sont partis travailler dans les pays du Golfe ou ailleurs. Plusieurs départs ont été faits par l'intermédiaire de l'Agence tunisienne de coopération technique (Atct). Il est légitime de chercher un certain confort matériel, mais l'appauvrissement de l'Université tunisienne de ses meilleurs éléments doit cesser ou du moins doit être revu pour mieux protéger ses intérêts. Des enseignants partis depuis plus de 10 ans et qui n'ont jamais démissionné de leur poste universitaire tunisien et dont certains sont même partis avec les clés de leur bureau!». De fait, 800 enseignants et chercheurs tunisiens se sont s'installés dans les pays du Golfe durant ces trois dernières années. Et des enseignants tunisiens travaillent depuis déjà de nombreuses années à l'étranger, notamment en France, au Canada et aux Etats-Unis où ils sont bien appréciés. Comment arrêter cette fuite des cerveaux dont la formation a été financée par le peuple tunisien ? Et qu'est-ce qui fait que ces diplômés qui partent à l'étranger se distinguent par leurs capacités d'adaptation et d'apprentissage et sont très vite embauchés à leur sortie de l'université alors que, dans notre pays, ils peinent à trouver un emploi dans un marché à la recherche de compétences? Tout le monde est conscient de ce problème et plusieurs propositions ont été avancées. Pour le ministre de l'Enseignement supérieur, « le volet de l'employabilité des diplômés universitaires, notamment les titulaires du diplôme de doctorat, figure parmi les priorités du projet de réforme en cours d'élaboration et de nouvelles solutions sont envisagées, notamment l'implication des entreprises dans la formation, la recherche et l'employabilité ». Il est plus que temps d'appliquer ces réformes et de doter le pays des compétences dont il a grand besoin.