Les zones militaires, ou temporairement militarisées, le Sahara et les lignes frontalières sont le milieu naturel où les forces armées se meuvent La décision du président de la République, annoncée lors de son discours à la nation, prononcé le 10 mai, de faire appel à l'armée pour protéger les sites de production, a été une source intarissable d'interprétations. Celles-ci, dans le meilleur des cas, sonnent le glas pour les libertés, entre autres de manifester, au pire, annoncent l'imminente subordination des forces armées aux visées politico-partisanes. Dans ce climat empreint de suspicion, la commission parlementaire spéciale de la sécurité et de la défense a auditionné hier le ministre de la Défense, Farhat Horchani. Dans son mot introductif, le président de la commission, Abdellatif Mekki, a posé le cadre de la rencontre, prenant soin de préciser d'emblée que la protection de ces sites est du ressort des forces de sécurité intérieures, « ont-elles épuisé leurs ressources de telle sorte que l'implication de l'armée soit devenue indispensable ? S'interroge-t-il. Mais encore, le président est-il en droit d'ordonner une telle mesure d'instruction ?» S'adressant au ministre accompagné de quelques membres de l'Etat-major. L'élu a également rappelé l'émoi suscité auprès d'une partie de l'opinion publique fortement attachée à la neutralité de l'armée républicaine tunisienne. « Le fait de bloquer l'exploitation des minerais pour pénaliser une économie nationale jusqu'à faire tomber un régime représente un des fondamentaux de la doctrine marxiste », assène le président de la commission, visant cette fois-ci les instigateurs des attaques contre les sites. Vide juridique Le ministre de la Défense a procédé à un rappel historique, définissant les missions de l'armée. Outre leur rôle essentiel d'assurer la sécurité extérieure et l'intégrité territoriale, les forces armées ont participé à la construction d'ouvrages de génie civil, la route reliant Tozeur à Kébili, le projet de Rjim Maâtoug. Lors des premiers jours de la révolution, l'armée a assuré le maintien de la paix, la protection des villes. Par la suite, elle a protégé le processus démocratique, garantissant le bon déroulement des opérations électorales ou celui des concours nationaux. «Ce n'est pas un fait inédit que l'armée participe à la vie civile », rappelle-t-il. Les zones militaires, ou temporairement militarisées, le Sahara et les lignes frontalières sont le milieu naturel où les forces armées se meuvent. L'armée n'est pas habilitée juridiquement à intervenir en milieu urbain, ni à avoir des contacts avec les personnes. Elle protège les édifices, martèle encore M.Horchani. « Elle l'a fait tout au long des jours agités de la révolution, ou au cours de missions temporaires, mais nous avons des soldats qui sont poursuivis pénalement aujourd'hui à cause de ce vide juridique». Lister les sites de production L'article 18 de la Constitution stipule : « L'armée nationale est une armée républicaine. Elle constitue une force militaire armée fondée sur la discipline et composée et organisée conformément à la loi. Il lui incombe de défendre la nation, d'assurer son indépendance et son intégrité territoriale. Elle est assujettie à une neutralité totale. L'armée nationale apporte son concours aux autorités civiles dans les conditions fixées par la loi», est insuffisant, selon le ministre. A ce titre, il a littéralement exhorté les législateurs en face de lui à mettre en place un cadre juridique permettant aux forces armées d'intervenir en cas de besoin dans la légalité. Précisant que pour ce qui est des sites de production, il faut qu'un décret présidentiel les liste nominativement. « Bien que le fait de protéger les lieux de production soit en lien avec la souveraineté nationale et la paix civile, cela doit se faire dans le cadre de la loi», insiste-t-il. Le ministre a tenu à rappeler que, de tout temps, l'armée tunisienne, peut-être la seule du monde arabe, s'est toujours abstenue de s'immiscer dans les affaires politiques. « C'est une armée fondamentalement neutre et républicaine, elle le restera ». Ce après quoi, la séance s'est tenue à huis clos.