Une enfance haïtienne est un ouvrage collectif, réunissant dix chroniques d'enfance sous la signature d'auteurs haïtiens contemporains. Le dernier titre de la collection qui vient de paraître sous le nom Une enfance haïtienne, réunissant des voix contemporaines de la littérature d'Haïti, ne déroge guère à la règle. Ce sont des voix nouvelles ou confirmées qui disent en quelques pages les bonheurs et les malheurs de l'enfance en Haïti, relativisant les peines et les misères de l'île aujourd'hui. Dans sa brève présentation de la contribution de Syto Cavé, l'un des dix auteurs du volume, l'écrivain Guy Régis Jr qui a eu la tâche immense de réunir ces textes, raconte ce que Cavé lui avait confié quelques jours après le séisme du 12 janvier 2010 : «Quelqu'un m'a appelé hier pour me demander si je suis mort. Absolument, ai-je dû répondre. Une amie m'a suggéré d'écrire, comme pour reprendre ma place parmi les vivants». N'est-ce pas ce que font les auteurs haïtiens depuis toujours, depuis que Haïti est Haïti, l'île où, selon les mots d'Aimé Césaire, «la Négritude se mit debout pour la première fois et dit qu'elle croyait à son humanité»? C'est sans doute parce que les écrivains haïtiens ont su garder intact cette humanité que leur littérature nous touche si profondément, comme d'ailleurs les dix chroniques d'enfance réunies dans le volume recensé ici. Entre imaginaire et sociologie, fiction et réel Ces chroniques se partagent entre souvenirs d'enfance, nouvelles et évocations lyriques. Entre imaginaire et sociologie, entre fiction et réel. Le volume s'ouvre sur un texte poétique où l'enfance est représentée à travers la nostalgie de la mère, figure tutélaire de nos débuts. C'est l'histoire d'un marcheur sombre, obsédé par une part manquante de lui-même qu'il ne sait clairement définir. «Que le temps soit chaud, sec ou frais, il se traîne en regardant parfois très loin, comme s'il cherchait quelque chose qui lui a échappé depuis longtemps, un temps qu'il ne peut pas situer, quelque chose dont le vide qu'il laisse rappelle vaguement le souvenir», écrit Bonel Auguste, poète, romancier, comédien et figure prometteuse de la jeune génération d'écrivains haïtiens. C'est «l'angoisse existentielle» qui est le thème privilégié des livres de Bonel Auguste. Dans le morceau intitulé «Le temps ne s'en va pas», qu'il a proposé à cette collection Gallimard sur l'enfance, il met en scène, avec l'éloquence poétique qui le caractérise, le travail de la mémoire et à travers la quête de son héros en marche l'irradiation d'une blessure personnelle enfouie au plus profond de l'être. Pour oublier la douleur, le héros marche à travers la forêt luxuriante longeant la mer «bleue dans son silence, pleine de sardes», jusqu'au jour où son chemin croise celui d'une «jeune fille élancée aux jambes lisses qui file sur sa bicyclette bleue». Et le souvenir refait surface, celui d'un rêve récurrent qui a longtemps hanté le personnage. «Il a la sensation de glisser dangereusement dans le rêve qu'il faisait quand il était enfant sur le lit de la pension. Il rêvait d'une jeune fille portant une robe à fleurs rouges qu'il appelait "maman" de toutes ses forces. Mais elle partait toujours en courant sans se retourner...».