Le livre réunit 19 nouvelles représentatives de trois générations d'auteurs, celle des débuts de la République turque, celle du coup d'Etat et celle des années 2000. Les éditions Galaade publient, à l'occasion de la rentrée littéraire, une riche anthologie de la fiction moderne turque. Composé de 16 auteurs et de 19 textes inédits, ce volume a l'ambition de faire découvrir quelques-uns des romanciers et des nouvellistes marquants, mais encore peu connus dans les pays francophones. Sur les rives du soleil : Ecrivains de Turquie est une anthologie paradoxale qui emprunte son titre à l'œuvre du poète Hasan Hüseyin, mais elle est composée uniquement de textes en prose. Une prose dans laquelle la poésie n'est pas toutefois totalement absente. En effet, la grande force de cette anthologie en traduction française est d'avoir su restituer, dans la langue d'arrivée, la qualité poétique du turc littéraire moderne, né de l'héritage des bardes d'Anatolie et de la poésie révolutionnaire du grand pionnier Nazim Hikmet. Entre nostalgie et critique politique radicale Il conviendra aussi de mettre au crédit de cette anthologie son souci de donner à lire des auteurs peu connus en Occident. «La littérature turque reste une terra incognita», écrit dans ses propos liminaires le traducteur et le formidable passeur de textes Timour Muhidine. Notre connaissance de la fiction littéraire turque se limite souvent à quelques grandes figures comme Yasar Kemal, Nedim Gursel ou Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2007. Ils sont les arbres qui cachent la forêt, une forêt faite d'une grande diversité de talents, de sensibilités et d'écritures que l'anthologie, publiée par Galaade, invite le lecteur francophone à découvrir à travers «un panorama réinventé de littérature turque enracinée dans le monde contemporain». Sur les rives du soleil réunit 19 nouvelles représentatives de trois générations d'auteurs, celle des débuts de la République turque, celle du coup d'Etat et celle des années 2000. Le volume s'ouvre sur trois textes de femmes (Adalet Agaoglu, Leyla Erbil, Furuzan). Ces textes se situent entre l'expérimentation littéraire et linguistique et la critique de la société patriarcale, le tout sur le mode de sarcasme et de parodie, comme en témoigne le titre de la seconde nouvelle du recueil : «Nous deux, critiques socialistes de sexe masculin». Le volume se clôt sur la délicieuse nouvelle autobiographique d'Enis Batur intitulée «Le renard». Dans ce texte nostalgique d'une Turquie perdue à jamais, l'animal, surgi du passé, devient pour le narrateur-personnage exilé à Paris la métaphore des mystères de l'enfance. L'exil, les inégalités sociales, la montée des fanatismes, l'aspiration à la liberté, la tentation de la marginalité sont quelques-uns des autres thèmes traités par les nouvellistes réunis dans ces pages. Ces thèmes sont graves, leur écriture empreinte d'un pessimisme profond, comme dans la nouvelle de Sabahttin Ali mettant en scène le drame d'un petit porteur d'ayran (boisson à base de yaourt) condamné à marcher tous les jours à travers les forêts enneigées pour écouler sa marchandise. Les cinq à dix sous qu'il rapporte à la fin de la journée font vivre sa famille abandonnée de tous. Il y a du Gorki et du Zola dans ce texte puissant qui se termine tragiquement pour le petit Hassan dévoré par les loups. Au social-réalisme de Sabahttin Ali, répond en écho la jeune littérature turque amplement représentée dans les pages de cette anthologie. Les représentants les plus prometteurs de cette jeunesse ont pour noms Hakan Günday, Murat Uyurkulak dont les textes riches en imprécations cyniques cachent une critique radicale des choix politiques et sociaux de l'élite dirigeante. Bruissant de la diversité des voix qu'elle fait entendre, Sur les rives du soleil s'impose d'emblée comme une anthologie incontournable. Sa grande vertu consiste à permettre au lecteur de voir plus clair dans les lettres turques contemporaines, trop longtemps perçues comme une jungle luxuriante mais impénétrable.