• Héritière d'une tradition de foi inscrite dans le chiisme anatolien, Sabahat Akkiraz, authentique diva à la voix d'or, a emporté l'auditoire d'Ennejma Ezzahra dans une dramaturgie intérieure, jouant sur plusieurs registres de l'âme et actualisant l'alchimie des sentiments. Ravi et enchanté, le public a communié. La 5e édition de Mûsîqât ou la Rencontre des musiques traditionnelles et néo-traditionnelles s'est achevée, samedi dernier au Palais du Baron d'Erlanger, Ennejma Ezzahra à Sidi Bou Saïd, avec la diva turque, Sabahat Akkiraz, dépositaire de la tradition musicale alevi-baktasi et gardienne de la mémoire des chiites turcs de stricte obédience alaouite. La réputation et la renommée, point usurpées, de la divine Sabahat ont franchi les frontières jusqu'à atteindre le cœur de l'Europe et séduire les plus réticents, les plus réfractaires à certaines influences musicales d'inspiration traditionnelle et islamique d'Asie mineure. A 21h00 sonnantes, le récital précis d'exactitude a pris son envol avec une Sabahat qui a fait salle comble avec un public trié sur le volet, mais qui, pour certains et par malchance, a dû suivre le spectacle debout. Une musique qui délasse les âmes Le chant profondément imprégné et intégré à la mystique qui fait communier l'homme avec l'ordre divin et les cycles cosmiques, délasse les âmes parce que chez Sabahat Akkiraz, la musique possède une origine divine qui accompagne la liturgie chiite. Les hymnes chantés sont soutenus par des instruments aux sonorités aériennes (flûtes, luths, guitare basse, «nefesli», «baghlama» et percussion). Cinq instrumentistes capables de toutes les prouesses assistaient Sabahat Akkiraz avec une virtuosité artistique stupéfiante : Eren Demir et Ali Kaghzim Akoagh à la «baghlama», Celalettin Akoagh à la percussion, Baran Asik au «nefesli» (flûte traversière) et Daghan Yildirim à la guitare basse ont créé de véritables rituels de musique où les chants font appel à l'improvisation dont la sève et les résonances intimes ne peuvent se transmettre que de bouche à oreille. Sabahet qui vient de participer à une tournée qu'on dit triomphale en Europe avec la religieuse libanaise, sœur Marie Keyrouz, une spécialiste du chant ecclésiastique catholique, et à Fès, au Maroc, à un festival de musique mystique et spirituelle, possède la vertu de transmettre uniquement par la voix une musique qui fait entendre l'intimité de Dieu et qui a le don de faire partager avec l'auditoire une même communion de cœur et d'attitude. En farouche défenseur et protecteur d'une culture anatolienne qu'elle porte dans son cœur et à laquelle elle s'identifie, Sabahat Akkiraz parcourt infatigablement le monde pour faire entendre une musique, propre à son éthnie, mais qui a cette qualité essentielle de favoriser et d'exprimer des extases en jouant des ressources les plus subtiles de l'ornementation, des intervalles, des accentuations et des styles et de jeu. Ainsi donc, le rideau est tombé sur cette 5e édition avec un spectacle associant la recherche académique et la pratique musicale, et explorant deux répertoires, l'un religieux avec les traditions alevi-baktasi et l'autre les chants et les hymnes de l'Anatolie profonde, le khalk song. De cette manière, la rencontre des musiques traditionnelles et néo-traditionnelles a joué pleinement son rôle en préservant la diversité musicale et culturelle menacée par l'homogénéisation inexorable des goûts sous l'effet d'un risque d'une globalisation rampante.