Les planches d'El Teatro ont accueilli, les 21, 22 et 23 octobre, la pièce Le dernier soupir, texte et mise en scène de Soumaya Bouallagui, d'après la comédie d'Aristophane Lysistrata. Une production El Teatro Studio et El Teatro a réuni sur scène Raja Gara, Héla Ayed, Amira Khlifi, Mouna Akrout, Zied Ayadi, Ammar Ltifi et Mohamed Saber Oueslati, sous la direction artistique de Taoufik Jebali. Après cinq ans d'aventure théâtrale au sein d'El Teatro Studio, Soumaya Bouallagui se devait de présenter son propre travail, un travail qui a germé suite à la lecture de Lysistrata, réveillant en elle ce qu'elle appelle son «être féminin», qui est à l'origine de sa pratique théâtrale. C'est donc en tant que femme créatrice qu'elle s'adresse au public, s'attaquant à cette pièce d'Aristophane qui, en 411 av. J.-C, avait donné la parole aux femmes: «Je ne pouvais tourner le dos à une pièce comme Lysistrata, pièce de femmes par excellence», précise-t-elle dans son texte de présentation. Une nouvelle proposition théâtrale que nous offre donc Soumaya Bouallagui du texte antique : texte intemporel, car la pièce montre le rôle que les femmes peuvent avoir dans la société et la façon pour elles de faire de la politique. La préoccupation essentielle d'Aristophane concernait la guerre et la paix : cette comédie est jouée pour la première fois en 411, durant la guerre du Péloponnèse (les Athéniens et les Spartiates s'affrontaient depuis vingt ans). Le postulat d'Aristophane est simple : les hommes ne parviennent pas à se réconcilier, laissons la place aux femmes ! Il imagine alors, pour les femmes, un mot d'ordre plus efficace : "Pour arrêter la guerre, refusez-vous à vos maris''. La nouvelle traduction de Soumaya se veut plus accessible et contemporaine (au niveau du texte), fidèle à la ''modernité'' et à l'originalité du texte d'Aristophane. Dans une langue qui est la nôtre, populaire et accessible, les diatribes féminines fusent et, avec elles, les plaintes des hommes. Les femmes, guidées par Lysistrata (littéralement ''celle qui dissout les armées''), agissent pour le bien de leur pays et de leurs familles, totalement déstabilisés depuis que les maris sont des soldats. Elles souffrent de cette «grève du sexe» mais résistent et les hommes finissent par céder, optant pour le plaisir de l'étreinte, pour l'amour, et par conclure un accord de paix… Ces Athéniennes des temps nouveaux sont interprétées par les quatre Tunisiennes Raja Gara, Héla Ayed, Amira Khlifi et Mouna Akrout qui, dans des dialogues frais portés par une gestuelle et une mise en corps suggestives, donnent la réplique à leurs hommes prêts à tout pour déjouer ce plan : Zied Ayadi, Ammar Ltifi, Mohamed Saber Oueslati. Les costumes des femmes sont contemporains, avec un clin d'œil à l'accoutrement antique, les hommes sont en tenue de guerre (plus dans le style des années 30-40). Et, même si l'on s'attendait à plus d'allusions culturelles, plus de calembours et plus de bouffonneries, comme le suggère ce genre de théâtre et de texte, l'on a ri par moments, parfois aux éclats, et on a été plutôt charmé par un rythme léger, un texte subtilement chorégraphié, le tout soutenu par l'excellent travail de lumière et de scénographie de Sabri Atrous et les effets sonores et le choix musical de Zied Meddeb Hamrouni. Lysistrata, un plaidoyer pour la paix que Soumaya Bouallagui a choisi de revisiter pour nous parler de la guerre et du rôle de la femme. Dans son clin d'œil pour le théâtre satirique, elle entend aussi dénoncer notre manière de traiter des sujets tels que la guerre, qui manque d'humour et de satire : «Si Aristophane à son époque a compris l'efficacité du théâtre satirique, je trouve dommage qu'aujourd'hui, face aux images de guerres que nous envoient à la figure nos écrans de télé, la satire soit devenue un genre presque rare…», note-t-elle.