Finalement «taillée en pièces» par la France, la Croatie n'en aura pas moins séduit les puristes de tous bords. Mieux encore. Cette équipe-là s'inscrit forcément à rebours d'une tendance qui a vu triompher les contingents les plus calculateurs de la scène ! La Croatie est ainsi restée fidèle à un style de jeu assumé jusqu'au bout, même si les Modric et autre Mandzukic auront tenté de prendre le jeu à leur compte sans pour autant toucher au but. Le football est décidément cruel. A la fin, il n'en restera qu'un! Les perdants, quant à eux, sont rarement honorés comme les vainqueurs qui concentrent autour d'eux toutes les révérences, hommages et autres cultes qui frôlent par moments l'idolâtrie ! Le second, quant à lui, va même tomber dans les oubliettes de l'histoire par moments. Certains diront que le «registre du palmarès » ne contient que le nom du gagnant. Mais franchement, n'est-ce pas là un stéréotype aux contours aussi cyniques qu'inexacts au regard de la trace indélébile laissée dans l'histoire du sport-roi ! Que de formations émérites ont caressé le rêve de sacre des yeux sans le toucher du doigt ! Cette Croatie-là en fait évidemment partie. Le onze au damier a tout d'un grand. De la personnalité, du talent, du métier, de l'endurance et de la bravoure. Elle aurait pu tenir sa première étoile, n'eût été le savoir-faire défensif et stratégique des Bleus. Ce fut aussi le cas d'autres sélections pétries de talents mais incapables de tenir leur rang. L'on peut évoquer à ce sujet la verticalité des contres belges face au Brésil et l'efficacité anglaise sur coups de pied arrêtés. Au final, grâce à leur métier, Diables Rouges et Three Lions se sont hissés dans le dernier carré ! Et pour revenir à la Croatie, soulignons franchement cette volonté de proposer quelque chose de différent, quitte à faire l'éloge de la différence ! Une ambition de champion En clair, concrètement, l'on ne peut ignorer cet accomplissement couplé à une ambition de champion. Que ce soit en phase de groupes, puis face au Danemark, la Russie, pays hôte, l'Angleterre et les Tricolores, les coéquipiers de Perisic ont assumé, revendiqué la possession du ballon, quadrillé comme personne d'autre le terrain en faisant tourner le cuir. Ils ont imposé leur patte stylistique et technique, quelle que soit la valeur de l'adversaire rencontré ! Et l'on ne peut donc que saluer cette idée si louable et ambitieuse du jeu, même si la mise en exécution fut parfois imparfaite. Bref, face à la France, la Croatie n'a pas vaincu mais elle a convaincu. Bien plus que le triomphe final, elle a pu parfois faire chavirer les cœurs et rallier les suffrages. Zlatko Dalic a réussi son pari. Celui de proposer un football de belle facture, un projet de jeu qui ne manquera pas de faire des émules et susciter la rivalité. Aux commandes d'une génération dorée, Dalic n'a certes pas brandi le trophée de la Coupe du monde, mais il n'a aucune raison de bouder son plaisir. Le plaisir de diriger d'une main de fer dans un gant de velours Ante Rebić, Mario Mandžukić, Andrej Kramarić, Ivan Perišić et bien entendu le meilleur joueur du monde, Luka Modric. Des buts, des gestes techniques, des transversales chirurgicales, des triangulations, des attaques placées et des parades venues d'ailleurs d'un certain Danijel Subašić. Toute une panoplie à disposition d'une seule sélection. Une rareté au sein d'une Coupe du monde où, rappelons-le, les coups de pied arrêtés sont devenus l'arme fatale d'à peu près toutes les autres formations présentes en Russie. Modrić : architecte tout-puissant Autre facette d'une Croatie qui a tenu les puristes en haleine. Au-delà des considération tactiques et esthétiques, les Croates ont également incarné la formation frisson du Mondial, capable de se sortir de maintes pièges. A plusieurs reprises, cette sélection a écrit ses propres scénarios improbables pour triompher au bout de l'effort ! Rappelez-vous face aux Danois, Anglais et Britanniques. L'équipe au damier était menée. Puis, elle a donné l'impression de sombrer dans l'abîme avant d'émerger de justesse et forcer son destin à terme, tel un onze transporté par la certitude d'être maître de son destin. Le chemin menant en finale a certes été semé d'embuches. Ce fut forcément autant épique que mémorable, car ponctuée de prolongations, de séances de tirs au but, de crampes et de souffrances collectives ! De mémoire, jamais une équipe n'a autant souffert avant de se hisser en finale ! On la croyait au bout du rouleau face à la France. Il n'en fut rien, même si le résultat final est sévère et ne reflète pas totalement le déroulé et la physionomie du match. Qu'importe l'apothéose du Mondial, cette Croatie-là est superbe, sublime, solidaire, dure à cuire et surtout magnifiée par ses individualités. Ce renard de Mario Mandžukić, Perišić, le feu follet dribbleur, et surtout son tandem Modrić-Rakitić au milieu, architecte tout-puissant du jeu des Croates. Cette formule gagnante, ce savant mélange, concentré de talent et de métier sous la houlette du grand ordonnateur de cette belle alchimie collective, l'entraîneur Zlatko Dalić, mérite de marquer les mémoires. Parce que cette sélection avait du cœur et du style. Et n'en déplaise aux inconditionnels du résultat à tout prix, cette équipe-là est déjà éternelle !