« Soufisme », un documentaire de Younès Ben Hajria, sélectionné en compétition officielle des courts métrages aux dernières Journées cinématographiques de Carthage, a été présenté dans le cadre de la sixième édition des Journées du court métrage tunisien de Gabès (Short Film Gabès). Le film démarre comme un documentaire démonstratif, didactique sur la technique du traitement de la laine : tondre la toison des moutons, puis démêler la laine recueillie, avant de passer successivement aux opérations de battage, cardage et filage. Mais juste après la séquence inaugurale, ce pur regard documentariste se mue en une vision esthétique qui s'applique à transfigurer le dispositif manufacturé au gré d'un ensemble d'effets visuels : des travellings fluides qu'accentue le recours au ralenti. Là, le film change de registre et conduit à un glissement tout à la fois générique et sémantique. En effet, en partant du rapprochement homophonique « Souf » (en arabe laine) et « «Soufisme » (mouvement ou pratique mystique), Younès Ben Hajria structure son opus autour de cette articulation culturelle et phonétique et crée un univers où le matériel et l'immatériel se touchent, se recoupent, se superposent, avant d'aboutir à une alchimique fusion qui n'est autre que le pouvoir de l'art. Ce que le film présente au début comme un simple documentaire sur les techniques du traitement de la laine est absorbé par les interstices d'une spiritualité enfouie dans la texture des objets et dans le mouvement balancé et oscillatoire des machines. Mieux encore, tout le dispositif technique de la machinerie est transfiguré, métamorphosé en gestes quasiment humains et gagné par un mystérieux élan qui happe énergiquement l'ensemble dans une harmonieuse procession. Une procession rituelle, canonique, universelle, donc circulaire et chorégraphique. Le mouvement de la machine tourne autour de son axe. Mais ce mouvement cesse d'être mécanique, selon un certain automatisme neutre et machinal, pour devenir spirituel, mystique, aérien, à la manière d'un derviche tourneur qui, en exécutant ce mouvement de circonvolution, aspire à épouser la rotation des étoiles et des planètes dans l'immensité du cosmos. Cela signifie que tout l'intérêt du film de Younès Ben Hajria réside dans cet acte alchimique qui permet non seulement de hisser les choses et les objets au rang de l'humain et à son souffle spirituel, mais aussi d'établir entre ces différents actants un subtil continuum, à la faveur d'une cérémoniale chorégraphie. La preuve que la règle de la création chez le cinéaste consiste à bousculer les frontières entre les genres et à établir un brassage, ou encore des interférences ou des affinités attractives entre le documentaire et l'essai cinématographique, entre la démarche démonstrative et l'approche poétique.