Une majorité de la Cour suprême américaine paraissait se dessiner mercredi 15 octobre 2025 pour brider significativement une loi emblématique garantissant la représentation électorale des minorités, ce qui enracinerait du même coup la majorité parlementaire des républicains. Les neuf juges de la Cour, six conservateurs et trois progressistes, sont une nouvelle fois saisis d'un recours contre une carte électorale dans un Etat comportant une importante minorité noire, la Louisiane (Sud). Au cœur du débat : le découpage électoral partisan, dit « gerrymandering », consistant à déplacer les frontières des circonscriptions au gré des intérêts du parti dirigeant dans chaque Etat. La Cour suprême a conclu en 2019 que ce charcutage ne relevait pas de la compétence des tribunaux fédéraux, mais il reste prohibé lorsqu'il se pratique sur des bases raciales et non plus de l'affiliation politique, alors que la minorité noire notamment vote toujours très largement démocrate. Les autorités républicaines de Louisiane, Etat dont environ un tiers de la population est noire, ont dû, à la suite d'une décision de justice, créer une seconde circonscription à majorité afro-américaine, en vertu du Voting Rights Act (VRA). Depuis une dizaine d'années, la majorité conservatrice de la Cour a déjà largement vidé de sa substance cette loi phare adoptée en 1965 pour empêcher les anciens Etats ségrégationnistes du Sud de porter atteinte au droit de vote des Afro-Américains. Un groupe d'électeurs blancs de Louisiane a contesté la nouvelle carte électorale, la qualifiant de discriminatoire, et un tribunal leur a donné raison, considérant que le facteur racial avait prédominé dans le tracé de la circonscription.
« Catastrophiques » Emousser encore les protections offertes par le Voting Rights Act aurait des conséquences « catastrophiques », a prévenu Janai Nelson, l'avocate des électeurs noirs qui défendent cette carte. « Si nous prenons l'exemple de la Louisiane, tous les élus noirs au Congrès ont été élus dans des circonscriptions créées en application du VRA », a-t-elle souligné. « Nous n'avons la diversité de représentation que nous connaissons dans le Sud que grâce aux actions en justice qui ont forcé la création de circonscriptions pour les minorités en vertu de cette loi », a insisté Janai Nelson. Mais les autorités de Louisiane arguent que la carte électorale contrevient aux amendements constitutionnels sur l'égalité de traitement des citoyens devant la loi. « Le gouvernement n'a pas à dire aux citoyens dans quelle circonscription ils peuvent vivre ni comment voter », a déclaré le représentant de la Louisiane, Benjamin Aguinaga. « Les six plaignants sont des plaignants blancs qui vivent dans la même circonscription que des électeurs noirs, donc personne ne les chasse de cette circonscription. Personne ne les empêche de participer au processus électoral », l'a interrompu la juge progressiste Sonia Sotomayor. En revanche, la Louisiane dilue le vote « des électeurs noirs dans beaucoup de circonscriptions en les noyant au milieu d'électeurs blancs », a-t-elle ajouté.
« Un seul parti » Le juge conservateur Brett Kavanaugh a reconnu la nécessité de « s'assurer qu'il y a eu suffisamment de compensations pour l'histoire des discriminations aux Etats-Unis ». Mais il a suggéré que certaines de ces mesures correctives des inégalités avaient peut-être fait leur temps en matière électorale, comme sur le plan éducatif, où la Cour suprême a ainsi interdit en 2023 les programmes de discrimination positive pour l'entrée à l'université. La décision de la Cour est attendue d'ici le terme de sa session fin juin. Un arrêt invalidant les garanties offertes par la loi permettrait aux républicains d'obtenir 19 sièges « sûrs » supplémentaires à la Chambre des représentants, soit « assez pour consolider le contrôle d'un seul parti pour au moins une génération », selon un rapport d'organisations de défense des droits civiques. À un an des élections de mi-mandat, les républicains disposent de seulement quelques sièges de majorité à la Chambre, que les démocrates espèrent leur reprendre pour s'opposer à la politique du président Donald Trump. Les deux camps sont engagés dans une bataille acharnée pour le redécoupage électoral, en particulier dans les Etats les plus peuplés du pays, le Texas (Sud) et la Californie (Ouest).